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ƒƒƒ article de Bertrand Pionce
« Le spectacle vivant, c’est comme les pâtes à la truffe : pas plus de deux fois par an ». Riche de cette sage maxime, proférée par « Caro » au début du spectacle, sans doute faut-il conseiller à nos lecteurs et lectrices de reprendre deux fois des pâtes, et de voir à deux reprises Thomas joue ses perruques.
Thomas Poitevin, à la faveur du confinement, a connu une exposition exceptionnelle : ses hilarantes vidéos de personnages dépassés par une situation inédite ont accompagné le désarroi de millions de Français. « Daniel » et ses amis, nantis de leurs diverses capillarités, ont ensuite connu une transition vers la scène, sans cesse renouvelée : les personnages changent, s’étoffent, au fur et à mesure des spectacles. Une recherche constante en plateau vise à faire entendre, avec les moyens du « spectacle vivant », ces « vies minuscules » mais si essentielles.
Le théâtre de Saint Quentin en Yvelines, scène nationale, a fourni un lieu idéal pour la renaissance, avant une grande tournée, d’un spectacle repensé. Nul doute qu’a pu s’y épanouir l’immarcescible Laurence, insubmersible directrice de l’Etanol, scène nationale en voie de conventionnement DRAC, toujours prête à ouvrir les possibles, le territoire, les dispositifs, la communauté de communes – et les sphincters de Marine, sa comptable sadisée (l’Etanol a peut-être d’ailleurs été subventionné depuis).
Si certains personnages sont connus par les vidéos de Thomas Poitevin, comme « Caro », la célibataire absolument pas en quête du grand ou du petit amour (mais finalement si, un peu, quand même) ou Hélène, la bourgeoise à l’effrayant brushing, soucieuse de caser sa copine fraichement botoxée et divorcée, le nouveau spectacle offre à Thomas Poitevin l’occasion de déployer l’éventail de son (très original) talent. Les voix off, les adresses public, le jeu avec un technicien faussement blasé, la savante création lumière et l’emploi malin de la musique, permettent des transitions fluides et des ruptures de ton très maitrisées.
Partant de sketchs donnant à voir des caractères reconnaissables à leurs perruques, leur maintien, leur diction ou leurs tics, et déjà parfaitement campés, le spectacle révèle sa grande finesse d’écriture, toujours sur une ligne de crête. Les personnages vivent à Dunkerque, Montluçon ou Thionville – on a l’impression de les (re)connaitre, pathétiques Bovary coincées dans leur province, ou papys pleins d’ennui qui vont du salon au Lidl, et du Lidl au salon. On est sans doute allés, dans une autre vie, au mariage de « Vava » et Tarek près de Pontarlier ou Morteau (et on leur souhaite plein de bonheur, s’ils survivent à la randonnée).
Thomas Poitevin sautille et funambulise au bord du tragique, donnant à voir la grande solitude et le misérable tas de petits secrets que recèle toute vie humaine – sa part de régression vers l’enfance, quand la mort arrive, sa plongée dans l’inconscient, quand le sommeil point. Ces perruques, supposément burlesques et pleines de paillettes sont, comme le meilleur Feydeau, une vraie machine à vertiges, à l’exemple de la scène entre Jordan et Mathieu, poignant échange de deux âmes jugées « anormales », à la douce et petite folie – douce, et petite, ce que la folie n’est jamais.
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Thomas joue ses perruques, de Thomas Poitevin
Mise en scène : Hélène François
Texte : Thomas Poitevin, Hélène François, Stéphane Foenkinos, Yannick Barbe
Avec Thomas Poitevin et la voix de Micky Sébastian
Créateur son : Guillaume Duguet
Créateur lumières : Bastien Courthieu
Régisseur général : Thibault Marfisi
Durée : 1 h 20
Vu au Théâtre de Saint Quentin en Yvelines, Petit Théâtre, le 30 septembre 2023
Théâtre de Saint Quentin en Yvelines, scène nationale
T+ 01 30 96 99 00
Spectacle en tournée en 23-24
Lieux et dates sur www.thomasjouesesperruques.com
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