© Silveri
ƒ article de Corinne François-Denève
This is how you will disappear a été créé en 2010 au Festival d’Avignon. La
pièce n’a cessé d’être reprise depuis, témoignage de sa non-disparition, et de
la fascination qu’exerce sur certains le travail de Gisèle Vienne. Il s’agit d’un
théâtre d’images, dont on ne peut qu’admirer la recherche et la sophistication.
Ce qui a disparu, toutefois, c’est bien le goût du (grand) récit, voire du théâtre.
On assiste à une succession de tableaux à la grande beauté plastique,
sciemment froide. Les protagonistes se livrent à diverses chorégraphies, qui
jouent de l’immobilité ou, au contraire, du cassage des corps et du rythme. Les
infrabasses font tressauter, les jeux de lumière, projections, envois de brume,
ajoutent encore à la sidération du public. Vienne dit entreprendre de dénoncer
les phénomènes de domination, de lutter contre l’imposition forcée du dogme
de la beauté. Forçant le public à regarder des images dites belles, mais
abjectes et obscènes, elle-même pratique une domination qui rappelle les
manipulations de Hanecke, au cinéma, ou de Jelinek, au théâtre. Chez Jelinek
toutefois se glisse l’humour, et chez Hanecke une part de jeu qui n’est pas
gratuite. Il ne semble n’y avoir rien de tout cela chez Vienne. Aux esprits
chagrins, le spectacle peut paraitre prétentieux et vain. Il montre des horreurs
avec une grande complaisance, et ne propose aucune catharsis, aucune
consolation, aucune réparation – à moins que, cette Diane chasseresse, à la
fin, qui s’empare d’une flèche non décochée ne veuille dire quelque chose ?
Mais à force d’injonctions à penser en gens intelligents, alors que l’on vous a
martelé le cerveau à coup de sons et de lumières agressives, on a juste envie
de devenir bête et de fuir au loin.
On peut aussi se poser la question de savoir quelle est la nécessité, en 2022,
de rejouer un spectacle créé dix années plus tôt – spectacle indubitablement
cher et écologiquement non responsable. On peut se demander si l’on a envie
de voir, dans un mignon tableau, une jolie gymnaste être victime de violences
sexuelles et une petite jeune fille assassinée dans une forêt obscure. On peut
se demander ce qu’il y a d’utile à entendre une rock-star raconter par le menu
le féminicide qu’il a commis, car il voulait se tuer lui-même, mais était « trop
important pour cela » (mais nous sommes à la Colline, dont on connait les
contestables programmations). On n’est pas sûre d’avoir très envie d’entendre
sussurrer « are you going to rape me ? » avant la mise à mort sanglante (et
longue) de l’assassin. Enfin, il est certain que le faucon et la chouette ne sont
pas des intermittents du spectacle consentants, et que les faire saluer à la fin
du spectacle ajoute à l’outrage – mais cette fois, le scandale n’est pas voulu.
Chacun fait donc comme il veut, et peut aller voir le spectacle, qui visiblement,
donc, ne disparaitra pas. On signale, à toutes fins utiles, qu’il est toujours
possible de réaliser chez soi une « petite forme » de la pièce, à moindre coût :
il suffit de projeter sur son écran un tableau de Böcklin, de lancer un podcast
de « Faites entrer l’accusé », de déclencher la fonction « massage » de son
fauteuil, et d’utiliser un sauna/steamer facial (petits prix garantis sur divers
sites).
© Silveri
This is how you will disappear de Gisèle Vienne
Conception, mise en scène, chorégraphie et scénographie : Gisèle Vienne
Créé en collaboration avec, et interprété par : Jonathan Capdevielle, Nuria
Guiu Sagarra, Jonathan Schatz
Création musicale : Stephen O’Malley, Peter Rehberg
Texte et paroles de la chanson : Dennis Cooper
Lumière : Patrick Riou
Sculpture de brume : Fujiko Nakaya
Vidéo : Shiro Takatani
Stylisme et conception des costumes : José Enrique Oña Selfa
Remerciements pour leurs conseils Anja Röttgerkamp, Vilborg Àsa
Gudjónsdóttir
Conception des poupées : Gisèle Vienne
Construction des poupées : Raphaël Rubbens, Dorothéa Vienne-Pollak, Gisèle
Vienne
Reconstitution des arbres et conseils : Hervé Mayon – La Licorne Verte
Évidage et reconstitution des arbres : François Cuny – Ô Bois Fleuri, les
Ateliers de Grenoble
Création maquillages, perruques, coiffures : Rebecca Flores
« Plusieurs scènes du spectacle peuvent heurter la sensibilité de certains
publics, notamment les plus jeunes »
Durée : 1 h 15
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
La Colline
15, rue Malte-Brun
75020 Paris
01 44 62 52 52
www.colline.fr
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