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Théâtre et amitié (triptyque), textes de Nicolas Doutey, mise en scène de Sébastien Derrey, au Théâtre Ouvert, à Paris

Mar 17, 2025 | Commentaires fermés sur Théâtre et amitié (triptyque), textes de Nicolas Doutey, mise en scène de Sébastien Derrey, au Théâtre Ouvert, à Paris

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Pour gagner le triptyque Théâtre et amitié, il vous faudra descendre et traverser les gradins au velours rouge du Théâtre Ouvert, puis monter sur scène où une arène à quatre pans délimite un carré blanc. Ce trajet n’est pas rien. Il préfigure l’évanouissement de certaines distances, l’avènement de nouveaux rapports. Non pas que ce Théâtre et amitié (triptyque) nierait la théâtralité, bien au contraire, mais plutôt qu’il nous déplacerait à l’endroit même de sa fabrique, à l’instar et dans un style radicalement différent de Valère Novarina, nous sommes comme installés au cœur de la parole, entêtante et claironnante. Nous sommes cis au croisement de l’élocution et de l’élucubration. Accentué encore par la scénographie à l’allure de feuille blanche, les mots prennent ici le taureau par les cornes, prennent le large dans leur petite barque brinquebalante toutes affaires cessantes, et, dans un ersatz de banale quotidienneté, rythmé par des tasses de café, de thé, des pommes croquées, dans le décorum d’une vie de couple ou d’une relation amicale, jouent leur partition qui semble pratiquement échapper aux locuteurs. Théâtre de l’absurde, d’une certaine façon oui, mais plus encore un théâtre régi par le principe d’une incertitude absolue, la narration chancelante s’effondrant au fur et à mesure qu’elle se construit. Un théâtre de pures hypothèses, s’annulant au fur et à mesure qu’elles s’énoncent. No direction home. Théâtre d’une jubilatoire intranquillité. L’écriture de Nicolas Doutey nous coupe l’herbe sous le pied, est une entreprise d’échafaudages précaires, dont la visée semble aléatoire, presque superflue. C’est un état non pas de fait, mais d’être. Une approche quantique et cantique, musicale. Sa langue est dévorante, mine de rien. Elle aspire le monde humain et se le met en bouche comme un grain à moudre. Un astrophysicien parlerait peut-être ici de trou noir tant la mécanique du langage à l’œuvre semble capable, vortex centripète, d’absorber tout ce qui passe entre ses lèvres. Le texte avance camouflé par sa reconnaissabilité, sa rassurante tonalité, avalant ses couleuvres et nous en faisant voir de toutes les couleurs. Les apparences sont sauves, mais il leur manque une cale. Une bouilloire électrique se met à gémir et le réel nous rattrape.

Il va s’en dire que ce théâtre-là est un théâtre d’acteurs. Chevilles ouvrières d’un monde de mots dont l’équilibre est aussi délicat que celui d’un mikado, ils ont en charge le destin de ces mots, de les faire sonner, vibrer, tinter. Justesse et finesse, comme une fine porcelaine. Chacun s’en fait le portevoix dans un jeu labyrinthique où les émotions passent comme des nuages. Il y a de la gamme dans le clavier bien tempéré de leurs affects. La présence, transparence et opacité réunies, est l’indispensable sésame pour ouvrir ce texte au monde quand il semblerait se replier sur lui-même. Les phrases paraissent miroiter sur les visages, les répliquent fusent, ricochent et font des vagues aussi vite refermées. Cette maestria est d’une insolente beauté, et l’on sourit autant des embardées du texte que de la sainte idiotie des acteurs capables de le tenir à bout de jeu. Le dispositif quadrifrontal, les costumes d’Elise Garraud détachant délicatement et poétiquement les corps, le travail du son d’Isabelle Surel creusant la matière du temps, les lumières scrutatrices, climatiques et inquiètes d’Anne Vaglio et Rémi Godfroy, tout cela concourt à faire de cette scène le lieu d’une expérimentation spectaculaire où l’on se sent étrangement soi-même convoqué.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

Théâtre et amitié (triptyque), textes de Nicolas Doutey (Je pars deux fois / Théâtre et amitié / La table planétaire)

Mise en scène : Sébastien Derrey, en collaboration avec Vincent Weber pour le deuxième volet du projet

Avec : Rodolphe Congé, Vincent Guédon, Catherine Jabot, Nathalie Pivain, Olga Grumberg, Frédéric Gustaëdt

Scénographie : Rémi Godfroy, Sébastien Derrey

Lumières : Anne Vaglio (pour Théâtre et Amitié et La table planétaire), Rémi Godfroy (pour Je pars deux fois)

Son : Isabelle Surel, assistée de Paulin Bonijoly

Costumes : Elise Garraud

Accessoires (pour La Table planétaire) : Olivier Brichet

Régie générale et lumières : Emmanuelle Phelippeau, Titouan Lechevalier

Régie son : Paulin Bonijoly

Assistante : Lorraine Malherbe

 

Du 13 au 22 mars 2025

Lundi, mardi, mercredi à 19h30

Jeudi, vendredi à 20h30

Samedi à 18h

 

Durée : 1h40

Relâche exceptionnelle jeudi 20 mars

 

Théâtre Ouvert

159, avenue Gambetta

75020 Paris

Réservations : 01 42 55 55 50

https://www.theatre-ouvert.com

 

En tournée :

Le 29 avril à 20h et 30 avril à 18h30

 

Comédie de Béthune

138, rue du 11 novembre

62400 Béthune

Tél : 03 21 63 29 19

https://www.comediedebethune.org

 

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