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THE SILENCE, texte et mise en scène de Falk Richter, à la MC93 – Bobigny

Oct 28, 2022 | Commentaires fermés sur THE SILENCE, texte et mise en scène de Falk Richter, à la MC93 – Bobigny

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

On entre dans THE SILENCE, comme Stanislas Nordey sur le plateau : à brûle pourpoint. Dans un espace qui est une lisière, d’une maison bourgeoise ou d’un ailleurs tel qu’il se révèlera à la fin de la pièce, formé de petits murets en briques blanches, d’un bouleau penché et décharné, comme un petit jardin d’un pavillon de banlieue, l’acteur surgit en veste Adidas noire ornée de bandes jaunes, planté sur ses baskets. « Dans ma famille on n’a jamais parlé de … ». L’entame est nette, elle nous happe, elle ne nous lâchera plus. Elle est d’emblée un paradoxe : parler ce qui n’est pas parlé, elle réactive l’origine du théâtre, ce dire qui sans cela resterait un non-dit, encombrant les consciences, viciant les esprits. Le roman familial est celui qui fascine le plus, à la fois point d’attache que l’on ne peut effacer, et point de départ dont on se détache irrémédiablement. La famille de Falk Richter a ceci de particulier qu’elle est un enchevêtrement de silences creusant une ligne de failles d’une génération à l’autre. On tait et on fait taire. On réécrit l’histoire, on efface les souvenirs quand ils ne conviennent pas. Ce « on » est au premier chef le père, débordant sur la mère, figure effacée, comme il faut, mais d’une volonté de fer. En procédant avec la figure rhétorique de l’anaphore, « Dans ma famille on n’a jamais parlé de… », Falk Richter assène des coups de pioche dans la statue opprimante du patriarcat qui pesa sur ses épaules toute son enfance. Père violent qui un jour le frappa, le jetant contre le mur de sa chambre, rejetant ainsi le coming out de son fils. Père, qui jusqu’au lit de mort, refusa toute réconciliation, mutique devant son fils implorant : « tu veux encore me dire quelque chose ? ».

Cette anaphore qui articule et arme la plus grande partie du texte de Falk Richter est un ressassement, autant qu’une recension, elle imprime un rythme, elle provient d’un souffle, celui de la vie, elle vibre d’une pulsation, celle qui lutte contre ce qui veut l’étouffer, la réduire au silence. C’est probablement pour cela que l’on est saisi sans pareil, ce qui est dit est arrimé à une question de survie, une question qui ne peut que se répéter, traquant les mauvaises réponses, les replis, les dénis. Il faut entendre Stanislas Nordey reprendre les mêmes mots introductifs comme on reprendrait son souffle.

Et puis, dans ce remuement du passé, dans ces passes d’arme entre mère et fils filmés dans une conversation projetée au cœur de la pièce, dans cet ajustement incessant d’une écriture en travail, passant de l’autobiographie à l’autofiction jusqu’à basculer dans la fiction, se fait entendre un autre silence, comme une petite musique de fond, celui, pesant, d’un pays et de son Histoire, celui moins lointain enfin d’une l’homophobie tacitement partagée en société. Comme des poupées gigognes, les manquements s’enchâssent les uns dans les autres, les secrets de familles résonnent dans les combles d’une histoire nationale passée sous silence. Le journal intime de Falk Richter adolescent confisqué, espionné, comme le reflet nauséeux d’une autre époque.

Stanislas Nordey porte ce texte avec une précision de la langue qui rend justice au dramaturge, et avec un engagement et une justesse qui dépassent celle de l’acteur pour atteindre à la fraternité de l’acteur et de l’auteur. Cette proximité émeut. Quelque chose d’une communauté humaine se révèle par ce geste. Dans la solitude du nomade au milieu des steppes, il nous invite en dernier lieu à interroger nos propres  silences, couverts par le bruit et les gesticulations de l’époque. Chaque homme est un miroir du monde.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 

THE SILENCE, texte et mise en scène de Falk Richter

Traduction : Anne Monfort

Avec : Stanislas Nordey

Et à l’image : Falk Richter, Doris Waltraud Richter

Dramaturgie : Jens Hillje

Scénographie et costumes : Katrin Hoffmann

Vidéo : Lion Bischof

Musique : Daniel Freitag

Enregistrement violoncelle : Kristina Koropecki

Lumière : Philippe Berthomé

Collaboratrice artistique : Stanislas Nordey, Claire Ingrid Cottanceau

Assistanat à la dramaturgie et à la mise en scène : Nadja Mattioli

Assistanat à la scénographie et aux costumes : Émilie Cognard

 

 

Durée : 1 h 45

 

Du 21 octobre au 6 novembre 2022 à 19h30

Sauf les 22, 23 octobre et 6 novembre à 15 h 30, 29 octobre à 18 h et le 5 novembre à 18 h 30.

Relâche le 24 octobre, et du 30 octobre au 1er novembre

 

 

 

 

MC93 Maison de la culture de Seine-Saint-Denis

9, boulevard Lénine

93000 Bobigny

www.mc93.com

Tél : 01 41 60 72 72

 

 

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