©  Christophe Raynaud de Lage

ƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

 Autant le dire d’emblée, le rapport avec le personnage de Shakespeare n’a rien d’évident ou nous a totalement échappé.

Le chorégraphe et danseur nord-américain Trajal Harrell qui dirige le Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble depuis 2019 est-il un Romeo désabusé, trainant son sac poubelle dans les recoins d’un jardin d’où il observe, accablé, toutes les Juliet.tes possibles et inaccessibles ? Autant de fleurs aux parfums, couleurs, formes diverses, dont il s’approche parfois et s’éloigne souvent.

Avec lui, treize performeurs virevoltants, qui se distinguent et se complètent, autant d’individualités qui forment néanmoins une unité, même sur les dissonances musicales (quand La Wally de Cosma est par exemple rattrapée par un morceau de violon qui se glisse dans les interstices de l’aria) alors que le spectacle avait commencé par The Wall de Pink Floyd et se poursuit par des morceaux d’Erik Satie. Treize performeurs qui ne cessent pendant une heure d’aller et venir, défiler, dans des tenues variées et le plus souvent chatoyantes. Si l’on ne sentait pas si fort la mélancolie du personnage un peu fantomatique de Trajal/Romeo, on imaginerait presque une bande de grands gamins jouant à se déguiser, grimacer comme des personnages d’estampes ukiyo-e ou de mangas, marcher sur la demi-pointe des pieds comme pour se jouer des mauvais tour, faire des rondes joyeuses et se trémousser, ou ébaucher des ports de bras à la Marta Graham.

Mais est-ce suffisant pour un spectacle présenté dans la Cour ?

Il est d’abord tellement regrettable que l’espace en tant que tel de la Cour n’ait pas été utilisé dans toutes ses possibilités. On ne pouvait s’empêcher de penser que des échafaudages auraient pu être dressés ici ou là, tels des balcons démultipliés, plutôt qu’une structure métallique ressemblant à une immense tonnelle où pourrait grimper des rosiers et qui sert de sas d’accueil aux défilés. Et évidemment des fantômes colorés de Juliet.tes auraient pu apparaître aux fenêtres pour rompre la monotonie de l’utilisation somme toute limitée de l’espace de ce plateau mythique qui n’est de fait pas exploité dans toutes ses dimensions. Rien de tel que le gigantisme du Palais lui-même qui aurait pu écraser ce petit Roméo désorienté.

Roméo en a-t-il déjà trop vu ? Est-il blasé par le paraître ou le consumérisme symbolisé par la profusion de tissus et mouvements ondulés coulant dans un flot continu de ce qui ressemble plus à l’arrivée de convives à un bal qu’à un ballet ? La fin, celle du dépouillement, renferme en revanche de la gravité et de l’émotion. Chacun se défait du superflu pour revenir à l’essentiel et passer, accompagné par un Charon, de l’autre côté ?

Sur le plan chorégraphique, du vogging, Trajal Harrell n’a gardé que des esquisses, des catwalk que les directions, pour plutôt privilégier un ballroom qui désoriente certains spectateurs peu familiers avec la culture queer et déçoit les autres qui auraient aimé plus d’audace avant le « blackout ».

Oh Romeo, Romeo. Pourquoi n’es-tu pas Romeo ?…

©  Christophe Raynaud de Lage

The Romeo de Trajal Harrell

Mise en scène, chorégraphie, scénographie, costumes : Trajal Harrell

Répétiteurs : Ondrej Vidlar, Vânia Doutel Vaz, Maria Ferreira Silva, Stephen Thompson

Dramaturgie : Katinka Deecke, Miriam Ibrahim

Musique : Trajal Harrell, Asma Maroof

Musique originale complémentaire : Felix Casaer

Scénographie : Trajal Harrell, Nadja Sofie Eller

Lumière : Stéfane Perraud

Avec : Frances Chiaverini, Vânia Doutel Vaz, Maria Ferreira Silva, Rob Fordeyn, Challenge Gumbodete, Trajal Harrell, New Kyd, Thibault Lac, Christopher Matthews, Nasheeka Nedsreal, Perle Palombe, Norel Amestoy Penck, Stephen Thompson, Songhay Toldon

Jusqu’au 23 juillet, 22h30

Cour d’honneur du Palais des papes

84 000 Avignon

Réservations : www.festival-avignon.com

Tournée en 2023-24 :   Berliner Festspiele les 12 et 13 août 2023, Comédie de Genève les 15 et 16 septembre 2023, Comédie de Clermont-Ferrand les 30 novembre et 1^er décembre 2023, les 7 au 9 décembre à La Villette…

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