© Jan Versweyveld
ƒƒ article de Denis Sanglard
Après avoir lu La voix humaine, Ramsey Nasr, acteur de l’Internationaal theater d’Amsterdam, a souhaité donner de l’homme au bout du fil dont on ignore tout de ses réponses et de son histoire, une identité. Mise en scène également par Ivo von Hove les deux pièces s’emboîtent et se répondent, écho l’une de l’autre. Avec ce trouble de défaire nos certitudes pour qui a vu La voix humaine. Sans jouer au jeu des différences, ce qui serait stupide, il est étrange et singulier de constater que chacun des deux, à l’autre bout de la ligne, a sa vérité propre, sa version des faits. Et nous, spectateurs, qui sommes au centre de ce dialogue à distance, comblant donc de fait les silences du premier opus, revoyons d’un autre œil ce dernier au regard de ce qu’exprime là cet homme à vif, à nu. Ramsey Nsar donne à cet interlocuteur un véritable et complexe caractère. Personnage travaillant dans l’humanitaire, sauvant et accueillant des réfugiés, agacé par son ex, distant et compassionnel tout à la fois, résolu à ne rien céder. Entre vérité et mensonge, petites lâchetés. La violence est là pourtant, sourde, qui éclate bientôt. Une tempête que tente de tempérer un troisième personnage, Charlotte, avec qui il refait sa vie. Charlotte comme une réparation, une résilience qu’ébrèche cette conversation téléphonique infernale. A l’enfermement de la femme, enclose derrière sa vitre, dans La voix humaine répond ici une ouverture que signifie ce vaste appartement en duplex, ouvert sur l’extérieur. Un appartement en cours d’emménagement auquel répond le vide de celui de la femme. Tout un symbole. Mais il est un enfermement plus sournois, celui de la passion destructrice contre lequel l’homme lutte pied à pied. Au calme du début Ivo Von Hove fait bientôt souffler un vent de folie et de rage avant l’inéluctable. Une dernière phrase lourde de conséquence que nous seuls, spectateurs ayant découvert La voix humaine, pouvons comprendre les terribles implications pour celle qui fut son dernier amour et désormais à bout. Cette banalité bientôt dissoute qu’installe sournoisement et avec brio ici Ivo Von Hove, avec pour appui le texte volontairement sans effet, est un leurre. La tragédie est bien là, hors-champs. Car si nous n’ignorons rien de ce qui se joue, ce que lui ignore, cette ambiguïté pour nous de connaître les conséquences de cette conversation se crispant avant d’exploser et la fin – le geste irrémédiable – dès le début amène un trouble. Cette anticipation-là est retorse et habilement menée. Mais il n’est nul besoin d’avoir vu le premier pour découvrir le second. C’est une pièce, un exercice de style brillant, pouvant être autonome. Ivo Von Hove toujours aussi précis dans la direction d’acteur offre à Ramsey Nsar, comme il le fit pour Halina Rejin, une formidable partition. Un jeu brillant et juste, efficace, qui ne cesse d’osciller d’un extrême à l’autre, compassion et rage, non-dit sournois et aveux tranchant. Un jeu extrêmement physique aussi. Pas d’excuse ni de contrition. Ramsey Nsar comme Ivo Von Hove ne cherchent en rien à réhabiliter cet homme. Ce qui est au centre de The other voice est le même cœur battant que La voix humaine, la fin d’un amour, d’une passion qui vous empoisse et la douleur qui vous relie encore malgré la séparation et la réparation. Réparation possible ou impossible, les deux cas sont ainsi exposés. Ivo Von Hove n’est jamais autant à l’aise que dans cette analyse des sentiments humains les plus extrêmes et complexes. Et c’est bien cela qui est mis en scène sans froideur mais sans empathie non plus. Exercice délicat et sensible porté avec sensibilité par Ramsey Nsar. Avec The other voice les hommes ne cachent plus leurs larmes et leurs douleurs d’avoir aimé.
© Jan Versweyveld
The other voice de Ramsey Nasr
Mise en scène Ivo Von Hove
Dramaturgie Bart Van Den Eynde
Scénographie et lumières Jan Versweyveld
Son Timeo Merkies
Traduction des textes en arabe Tayseer Nasr
Costumes Wim Van Vliet
Assistant à la scénographie Bart Van Merode
Conseiller à la distribution Hans Kemma
Avec Ramsey Nsar et Belinda Van Der Stoep
Du 13 au 16 novembre 2018 à 20h
En néerlandais, surtitré en français
Théâtre de la Ville−Espace Cardin
1 avenue Gabriel
75008 Paris
Réservations : 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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