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The Local Stigmatic de Heathcote Williams, mise en scene de Nassim Gacem, Théâtre Darius Milhaud, Paris

Nov 02, 2023 | Commentaires fermés sur The Local Stigmatic de Heathcote Williams, mise en scene de Nassim Gacem, Théâtre Darius Milhaud, Paris

ƒƒ article de Corinne François-Denève

Dans le Londres de la fin des années 1960, deux jeunes gens partagent un studio miteux. L’un est obsédé par les courses de chevaux. L’autre promène son indolence mélancolique et l’écoute avec une feinte patience. De temps en temps, ils se promènent dans les rues, sortent dans les bars. Un soir, ils tombent sur David, une ancienne gloire de l’écran. Que faire quand on s’ennuie, et qu’on ne vit que pour voir des chiens jaillir de leur cage, pour courir le plus vite possible ?

Heathcote Williams, en France, est un inconnu absolu. Passé par Eton, poète tout autant que polémiste, Williams a écrit un certain nombre de pièces qui lui ont valu d’être remarqué par Harold Pinter. L’écriture de The Local Stigmatic, pièce qui a fasciné Al Pacino au point qu’il l’a jouée au théâtre, avant d’en produire la version filmique, restée très confidentielle, a d’ailleurs été encouragée par Pinter lui-même.

On mesure la gageure de présenter la pièce en France, dans une traduction inédite. On pense en effet au Monte-Plats de Pinter, plus connu. The Local Stigmatic, cependant, est une pièce très ancrée dans les années 1960, et dans la culture britannique : il faudrait connaître les lieux nommés, et aussi Anthony Trollope et Barbara Cartland, La Piste de Santa Fé et Richard III, pour saisir vraiment tous les effets de cette écriture nerveuse et indignée. Le défi a été relevé par la jeune équipe, qui s’est passionnée pour la pièce au point de la traduire, de la monter, et de la jouer ; la traduction est d’ailleurs, le plus souvent, intelligente et très efficace.

Nassim Gacem a su faire avec les moyens du petit théâtre Darius Milhaud : peu d’accessoires, quelques lumières, deux ou trois sorties suffisent à donner l’illusion du studio en colocation, du bar, des errances dans la rue. Le spectacle reste encore un peu fragile, en particulier dans certains moments de jeu et d’incarnation. Le modèle écrasant étant celui de l’Actors Studio, et de son devancier sur scène, Gacem joue « à la Pacino », à la Cassel ou à la Taghmaoui. On aurait envie de lui dire de se faire confiance pour trouver son personnage en partant de lui, et de ce qu’il porte en lui, qui semble extrêmement riche et prometteur. En face, Siméon Starck déploie sa grande silhouette élégante, que l’on dirait sortie d’un Cocteau, ou de Querelle. Parfois, on pense aussi au couple de Macadam Cowboy, et on aimerait que le trouble, que la tension sexuelle s’installent davantage. Le tremblé s’immisce quand « David » (Laurent Burckel) débarque sur scène, silhouette fragile, dont on sait qu’elle va se faire massacrer. Cette fois, c’est Orange mécanique qui est convoqué.

The Local Stigmatic, en ce sens, est extrêmement efficace, montée en puissance d’une haine sans véritable objet. Dans l’écosystème théâtral, où tant de budgets colossaux sont consacrés à de médiocres et pathétiques projets vides de sens, gonflés comme des ballons de baudruche, l’entreprise menée par la King Kong Company mérite d’être soulignée : de l’enthousiasme, beaucoup de travail, de l’humilité – tout cela redonne un peu d’espoir.