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The Hidden Force, de Louis Couperus, mise en scène d’Ivo van Hove

Avr 11, 2019 | Commentaires fermés sur The Hidden Force, de Louis Couperus, mise en scène d’Ivo van Hove

 

© Jan Versweyveld

 

ƒƒƒ Article de Philippe Escalier

Il fallait tout le talent de Ivo van Hove pour réussir la mise en scène du roman de Louis Couperus, La Force des ténèbres, adapté par Peter Van Kraaij. Cette œuvre, datant de 1900, d’une grande modernité, quasi visionnaire, servie par une superbe troupe néerlandaise, met en parallèle la décrépitude d’une grande famille et celle des Indes Orientales Hollandaises, annonçant les grands combats pour l’indépendance.

1863-1923, les dates de Louis Couperus nous disent bien que son existence enjambe deux siècles. Il en va de même pour The Hidden Force, datant de 1900 et mariant tradition et innovation. L’œuvre décrit d’une part, assez classiquement, la vie d’une famille, dans un esprit pouvant rappeler, par endroits, certains grands auteurs comme Joseph Conrad ou Lars Norèn, et d’autre part, se trouve imprégnée d’une forte conscience des réalités sociales contemporaines et à venir. Rarement synthèse du passé et du futur auront trouvé meilleure expression. Il aura fallu que ce soit par le truchement d’un esthète réputé décadent, issu d’un milieu favorisé et qui a définitivement marqué de son empreinte la littérature des Pays-Bas.

L’histoire dans laquelle Louis Couperus nous entraîne ne doit rien au hasard, l’auteur, grand voyageur, ayant eu la possibilité de passer du temps à Jakarta en Indonésie, où des membres de sa famille géraient l’exécutif de la colonie hollandaise. La transposition avec la pièce est évidente, le personnage central étant le gouverneur Otto van Oudijck, travailleur obstiné, occupé à réguler la vie de son territoire, bien certain de détenir la vérité et d’apporter les forces et les atouts de la civilisation occidentale aux populations locales, elles tout à l’opposé de ce schéma de rationalité et d’efficacité, marquées par les rites et les superstitions ancestrales. Et de fait, il accomplit sa tâche avec détermination et un sens de la justice très affirmé, cause d’un conflit avec une famille princière locale influente, générateur d’une guérilla larvée entre pouvoir et indigènes. Les difficultés qu’il va rencontrer vont déstabiliser cet homme à poigne, d’autant que sa famille se disloque, sous l’effet désastreux des passions sexuelles de sa femme, peu apte à résister aux attraits de la jeunesse, en particulier ceux de son beau-fils et du très sensuel amant de sa belle-fille. L’un des mérites de Couperus est de mettre bien en évidence une double secousse, l’une liée à la découverte de nouvelles libertés, dans une structure familiale ayant perdu, loin de la mère patrie, ses strictes habitudes de classe, l’autre tenant aux incompatibilités culturelles profondes entre l’Europe et ses colonies rendant vaines toutes formes d’assimilation, fussent-elles motivées, chez quelques-uns du moins, par la volonté de servir le bien commun. Et le constat douloureux fait par certains personnages d’être perdus, sans réelle appartenance ni à leur pays d’origine ni à celui où ils vivent, est poignant.

Pour donner vie au drame, le metteur en scène Belge Ivo van Hove utilise les moyens que lui autorise une scène ouverte aux dimensions impressionnantes. Donnant du sens au moindre objet, au moindre son, au moindre geste, il met ses idées foisonnantes, toutes d’une prodigieuse utilité, entièrement au service d’un auteur attaché à la grande précision des mots. Tout est pensé pour nous rappeler les lieux originaux, que ce soit le bois qui tapisse le sol ou la pluie qui tombe, par moment de façon abondante, sur les comédiens. L’on reconnaîtra aussi le metteur en scène d’opéras par la présence de musiques (percussions et cordes), aux sons asiatiques ou européens et c’est le compositeur, Harry de Wit, qui vient, en personne, rythmer le texte. Entouré d’écrans vidéo projetant des images liées au contexte, l’océan notamment, (l’eau est très présente dans ce spectacle), l’ensemble imprègne le spectateur des éléments propres à caractériser cette destination lointaine, aux mystères profonds. La richesse du texte, donné en néerlandais sur-titré en français, permet d’entendre une histoire à plusieurs facettes, politique, sentimentale, fantastique, toutes entremêlées. La qualité des acteurs issus de l’Internationaal Theater Amsterdam n’est pas pour rien dans l’intérêt de ce moment de théâtre fort et rare, que l’on déguste de la première à la dernière minute, pour peu que l’on passe le handicap de la langue, certes pas la plus musicale du monde, mais qui a du moins l’avantage d’assurer une homogénéité louable et un dépaysement complet !

 

© Jan Versweyveld

 

The Hidden Force, de Louis Couperus

Mise en scène d’Ivo van Hove

Adaptation et dramaturgie Peter Van Kraaij

Scénographie et lumière Jan Versweyveld

Musique Harry De Wit

Costumes An D’Huys

Chorégraphie Koen Augustijnen

 

En néerlandais, surtitré en français

 

Avec Bart Bijnens, Mingus Dagelet, Jip van den Dool, Barry Emond, Eva Heijnen, Maria Kraakman, Chris Nietvelt, Massimo Pessik, Halina Reijn, Dewi Reijs, Michael Schnörr, Gijs Scholten van Aschat, Leon Voorberg

 

Du 4 au 11 avril 2019 à 20h

Durée 2h

 

Théâtre de la Ville La Villette

Grande Halle

211, avenue Jean Jaurès

75019 Paris

 

Réservations T+01 40 03 75 75

www.lavillette.com

 

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