ƒƒƒ article de Florent Mirandole
Seule face au public, Ann Van den Broek s’avance sur scène. 350 regards observent la chorégraphe poser un pied sur un interrupteur. Et soudain, le noir envahit la scène. Alors le plateau disparaît, le son s’évapore et les sensations manquent. Les minutes qui s’écoulent ressemblent à un saut dans le vide, sans que l’on sache où nous allons atterrir, où nous écraser. « The Black Piece » peut commencer.
Cette plongée brutale dans l’obscurité est la première pierre du travail de désorientation qu’entreprend la chorégraphe avec sa nouvelle pièce « The Black Piece ». Le public finit par reprendre ses esprits, mais dans un état de profonde vulnérabilité. Les yeux commencent à entrapercevoir des formes sur scène, des sons inconnus proviennent de la scène. Mais très vite le regard est fait prisonnier. Grâce à l’utilisation de deux sources lumineuses, une lampe torche et une caméra dotée de lumière dont l’image est reproduite sur un écran, Ann Van den Broek capte notre regard. Devenu le jouet de la chorégraphe hollandaise, le public est conduit dans un monde fantomatique, où les corps apparaissent fugacement devant la caméra, ou gémissent dans un coin, oubliés et invisibles. Les visages apparaissent parfois, se rencontrent, s’embrassent, ou jouent avec le « hors champs ». Le tout accompagné par un rock lancinant qui contribue à brouiller les sens. Nous sommes entièrement dépendants de ce que l’on veut bien nous montrer.
Ce travail de désorientation sensorielle et visuelle s’avère particulièrement efficace, tant chaque image est un choc physique pour le spectateur. Ann Van den Broek n’est toutefois pas qu’une illusionniste. Au delà de la désorientation du public, son ambition est de créer de nouvelles formes. Le choc physique se double d’une invention esthétique particulièrement riche. Ainsi les ombres des danseurs projetées par la lampe de la chorégraphe font naître des êtres fantasmagoriques sur les murs du théâtre, géants aussi impressionnants que monstrueux. Le plateau finit par être complètement envahi lorsque la chorégraphe projette ces ombres depuis le public. La scène est alors striée des membres de danseurs, alors que certains continuent à danser sur scène. La simplicité du dispositif renforce encore la beauté de l’invention. La chorégraphe abandonne parfois ce dispositif pour revenir à une mise en scène plus classique. Trois hommes alignés en diagonale se relaient devant la lampe d’Ann Van Den Broeck. Le talent de chorégraphe explose alors. Répétant des séries de gestes brusques, saccadés et violents, les trois hommes brillent sous la lumière fébrile de la chorégraphe.
Aussi sombre que brillante, « The Black piece » est une vraie révélation esthétique et chorégraphique. Un événement qui ouvre avec éclat les rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis.
The black piece
Conception, chorégraphie Ann Van den Broek
Caméra live Thorsten Alofs
Création lumières Bernie van Velzen
Musique Arne Van Dongen
Performance vocale Gregory Frateur enregistré par Nicolas Rombouts (aka Dez Mona)
Scénographie Ann Van den Broek, Bernie van Velzen
Costumes Ann Van den Broek
Conseil Marc Vanrunxt
Avec Jan Deboom, Louis Combeaud, Ferhat Güneș, Frauke Mariën, Francesca MontiDu 05 mai au 06 mai 2015
Nouveau théâtre de Montreuil
10, place Jean-Jaurès – 93100 Montreuil
Métro Mairie de Montreuil
Réservation 01 48 70 48 90
nouveau-theatre-montreuil.com
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