© Josh Rose
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Des infrabasses traversent les corps de spectateurs allongés, épars, sur la scène. Dans l’obscurité, un aérostat aux allures de Zeppelin, luminescent. Quand bien même la proposition de Dimitri Chamblas lorgnerait du côté du trip perché, ces basses sourdent du sol, grondement qui remue les entrailles, avant de s’expliciter en des fréquences plus lentes, pareilles au tournoiement d’hélices, tandis que l’aérostat s’élève, lumineux et fantasmagorique, astre blafard arrimé au plateau. takemehome tire ses lignes de force, ses lignes de vie. Tellurique et aérien, entre chair et esprit, horizontalité et verticalité. takemehome articule l’hétérogène, entrechoquant figuratif et abstraction, d’un même mouvement. Car, si Dimitri Chamblas indique avoir été inspiré pour cette pièce par la vision de ces corps fantomatiques, travelling lights d’un monde interlope, épinglés comme des papillons par les phares des voitures sur le bord des autoroutes de Los Angeles, takemehome n’en est pas pour autant une illustration, ni même une tentative d’incarnation. Et c’est cela même qui lui procure toute sa puissance de sidération : cette pièce est en perpétuelle métamorphose, comme la danse qui l’anime, comme la musique, composée par Kim Gordon (ex membre des Sonic Youth), qui la traverse et la soulève, elle poursuit sa course dans une échappée libre. Les neuf danseurs sont à la fois moléculaires, intensités ondulatoires, déchirant l’espace scénique comme autant de saillies nerveuses, et dans cet ensemble qui au prime abord pourrait apparaître brouillon, informe, une juste ligne se dégage, inexplicable mais bien réelle. Comme une limaille jetée sur une surface plane s’agrégeant sur une ligne magnétique insoupçonnée. Face au déferlement des gestes, on se retrouve dépourvu pour notre plus grand bénéfice, dans un abandon fécond qui est proche de celui que l’on peut ressentir au plus profond de soi face à un tableau de Cy Twombly. takemehome révèle alors la trace indélébile de corps scarifiant l’espace, projette dans la matière et la lumière les saccades hallucinatoires de l’intériorité comme l’envers d’un décor habituellement invisible. Entropie et magnétisme des corps mouvementés. Stalkers sous acide.
Dimitri Chamblas entrelace les parties démembrées, au sens de jaillissements chorégraphiques aux intensités pulsionnelles, et les parties éminemment structurées, travaillant le ralenti, la faille temporelle. Un corps juché en vigie sur un autre, un baiser où des fluides colorés et extatiques s’échangent, des ruissellements de corps comme s’ils glissaient d’une pietà, takemehome subjugue par ses images puissantes, toujours vivantes, mais ne succombant jamais à la moindre complaisance esthétique. Ici on échappe au glaçage « Vogue » des performers d’une Anne Imhof (Nature morte, au Palais de Tokyo en 2021).
Avant de sortir, le visage d’un danseur forme un angle droit avec son corps, il n’est plus que l’arête d’un nez pointant vers le zeppelin. Puis il disparaît.
takemehome, chorégraphie de Dimitri Chamblas, musique de Kim Gordon
Avec : Marion Barbeau, Marissa Brown, Eli Cohen, Bryana Fritz, Eva Galmel, François Malbranque, Jobel Medina, Salia Sanou, Kensaku Shinohara
Lumière : Yves Godin en collaboration avec Virginie Mira pour la conception du dispositif
Costumes : Dimitri Chamblas, Andrealisse Lopez
Régie générale : Jack McWeeny
Régie lumière : Iannis Japiot
Régie son : Dimitri Dedonder
Durée : 1h05
Du 18 au 21 septembre 2024, mercredi 20h30, jeudi et vendredi 19h30, samedi 15h
Chaillot – Théâtre national de la Danse
1 place du Trocadéro
75116 Paris
Tél : 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr
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