© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier
Tamara Al Saadi a le don de l’écoute et de faire écouter, ce qui au théâtre ne relève pas de l’évidence. En revisitant le mythe d’Antigone avec sa dernière pièce Taire, elle donne à entendre à la fois le silence qui s’impose à l’héroïne grecque (émouvante Mayya Sanbar) et à son double contemporain Eden (palpitante Chloé Monteiro), une jeune fille placée à l’aide sociale à l’enfance, la fameuse ASE, dont nombre de rapports et d’enquêtes ont montré, encore ces derniers jours, non seulement les limites, mais surtout les situations dramatiques de maltraitance qu’elle ne parvient pas à contrôler, faute de personnel, de place, de volonté politique. Le prochain rapport de la commission parlementaire s’annonce déjà catastrophique.
La pièce de Tamara Al Saadi retentit donc avec cette actualité brûlante tout en résonnant avec une vérité plus universelle qu’elle place déjà sur le terrain étymologique avec cet écriteau accroché sur scène avant que la pièce de commence : oui l’infans en latin c’est celui qui ne parle pas. Il ne parle pas, parce que le monde adulte le prive de sa parole en ne respectant souvent ni ses besoins, ni sa détresse, telles les centaines d’Eden qui sombrent ou se perdent à force de déplacements en familles d’accueil et en foyers. Il ne parle pas parce qu’il décide de se Taire quand, à l’évidence, parler n’a plus de sens ou d’utilité, telles les centaines d’Antigone emmurées, après que des Créon divers et variés leur aient imposé le silence. Deux types d’enfants issues de familles dysfonctionnelles dans le vocabulaire contemporain, aux destins condamnés d’avance par leurs naissances…
Comme dans sa pièce précédente Partir, Tamara Al Saadi traite avec un décalage étonnant de situations tragiques, qui tient beaucoup aux procédés de mise en scène et scénographiques qu’elle utilise. De manière plus dynamique, mais aussi plus légère que dans sa précédente création que l’on avait pu voir en 2022 à Avignon, la bruiteuse Eleonore Malo accompagne les déplacements des comédiens, cette fois également avec des musiciens (Bachar Mar-Khalifé aux percussions et Fabio Meschini à la guitare et les voix chorales des comédiens), pour mieux rendre compte des émotions des personnages et du public. Et nos cœurs battent à l’unisson…
L’humour, le dynamisme des changements de décors et de lumière, la justesse des comédiens permettent d’éviter que l’effet cathartique soit trop difficile à supporter.
Mais au final, Taire invite à tout sauf se taire et rend justice aux Antigone et Eden de tous les temps, tout en incitant toutes leurs autres sœurs à la résistance et à la rébellion.
© Christophe Raynaud de Lage
Taire, de Tamara Al Saadi
Mise en scène et scénographie : Tamara Al Saadi
Assistanat à la mise en scène : Joséphine Lévy
Chorégraphie : Sonia Al Khadir
Scénographie et lumière : Jennifer Montesantos
Musique et son : Eleonore Mallo, Bachar Mar-Khalifé, Fabio Meschini
Costumes : Pétronille Salomé
Assistanat à la lumière et régie lumière : Elsa Sanchez
Assistanat au son et régie son : Arousia Ducelier
Assistanat aux costumes : Irène Jolivard
Avec : Manon Combes, Ryan Larras, Mohammed Louridi, Eleonore Mallo, Bachar Mar-Khalifé, Fabio Meschini, Chloé Monteiro, Mayya Sanbar, Tatiana Spivakova, Ismaël Tifouche Nieto, Marie Tirmont, Clémentine Vignais,
Du 26 mars au 6 avril 2025
Durée estimée : 2h
Du lundi au vendredi à 19h30, samedi à 17h, dimanche à 15h
Relâche le mardi
Spectacle conseillé à partir de 14 ans
Avertissement : certaines scènes abordant des violences sexuelles peuvent heurter la sensibilité des personnes concernées.
TGP – CDN de Saint-Denis
Salle Delphine Seyrig
59 boulevard Jules Guesde
93200 Saint-Denis
www.theatregerardphilippe.com
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