© Camille Morhange / Alex Nollet
ƒƒ article de Corinne François-Denève
« Les Histoires d’amour finissent mal, en général »
Charles n’aimait pas Odette, mais Charles ne le savait pas. Au Théâtre de Belleville, Nicolas Kerszenbaum a fait le choix de transposer Un amour de Swann en 2017, et en chanson(s). La petite fable cruelle de Proust, qui observe l’aristocrate Charles souffrir d’amour et de désir pour Odette, une femme qui « n’était pas son genre », ni même de son milieu, est à vrai dire atemporelle. La chronique de la petite comédie du monde, qui voit la parvenue Verdurin damer le pion aux vénérables princes de Guermantes, n’a sans doute pas vieilli non plus. Sur scène sont donc présents Madame Verdurin, Odette, Elstir (dit « Biche ») et, fort brièvement, le « rival » de Swann, Forcheville. Le public est censé être Swann, spectateur de son propre tourment.
Reprenant de temps à autres les belles et longues phrases de Proust, Kerszenbaum y a ajouté des dialogues de son cru, faussement discordants et anachroniques – le principe serait celui d’une reprise, façon jazz, de la petite musique proustienne. Les personnages s’amusent des alexandrins de hasard que le texte révèle. Ils veulent entendre la sonate de Vinteuil. En fond sonore, les musiciens Guillaume Léglise et Jérôme Castel reprennent la ligne mélodique d’une gymnopédie de Satie, d’un morceau de Portishead de la Danse Macabre de Saint-Saëns. Mélange des époques, variation sur le connu et le nouveau. Dans la mise en scène de Kerszenbaum, la scénographie (fleurs de serre et néons fluo) et les chansons de Guillaume Léglise transforment l’histoire imaginée par Proust en une mini-comédie musicale chic et triste qu’aurait pu signer Christophe Honoré. L’ensemble est foutraque, hétéroclite, « moderne. »
Le propos s’égare un peu lorsque l’on s’aventure sur le terrain social, avec l’épisode du jeu « Belle Époque », « gaming » sur le capital et le travail empruntant aux théories de Piketty, qui ne convainc pas grand monde, et n’apporte surtout pas grand chose. En revanche, les scènes relatant les amours de Swann et d’Odette, ou se passant dans le salon des Verdurin, sont particulièrement réussies. Marik Renner compose une Odette double : petite chose peut-être un peu bête quand elle parle, obscur objet du désir néo-gainsbourien à la sensualité troublante quand elle chante et danse, magnifiée par les lumières de Nicolas Galland. Sabrina Baldassara campe une Verdurin truculente, drôle et féroce ; Thomas Laroppe un Elstir élastique et falot puis un Swann intense et désespéré. Tous ces gens chantent, dansent et jouent à la perfection.
Swann s’inclina poliment, d’après Marcel Proust
Adaptation et mise en scène Nicolas Kerszenbaum
Assisté de Gautier Boxebeld et Emmanuelle Peron
Avec Sabrina Baldassarra, Marik Renner et (en alternance) Gautier Boxebeld ou Thomas Laroppe
Composition musicale Guillaume Léglise
Musiciens Guillaume Léglise et Jérôme Castel
Création lumières Nicolas Galland
Scénographie Louise Sari
Régie générale et son Laurent Legall
Administration / Production / Diffusion Blandine Drouin et Colin Pitrat – Les IndépendancesProduction compagnie franchement, tu, Les Tréteaux de France – Centre Dramatique National, Le Théâtre de Belleville, Le Moulin du Roc – Scène Nationale à Niort, Le Théâtre du Chevalet – Scène Conventionnée de Noyon
Ce spectacle est lauréat de l’Aide à la création de textes dramatiques – ARTCENA, il a bénéficié de l’aide de la DRAC Hauts-de-France au titre de l’aide à la production dramatique et de l’aide à la résidence, et de l’aide de la Région Hauts-de-France et du Conseil Départemental de l’Oise au titre de l’aide à la résidence.
Avec le soutien de la Chartreuse – CNES, de la Maison de la Culture d’Amiens, de la Maison des Métallos, du Nouveau Théâtre de Montreuil, de l’Ambassade de France à Cuba.
Durée 1 h 30
Du 5 au 26 juillet 2019, à 22 h 25
11 . Gilgamesh Belleville
Festival d’Avignon
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