À l'affiche, Critiques // Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe, texte et mise en scène de Julie Dessaivre, Théâtre du Lucernaire

Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe, texte et mise en scène de Julie Dessaivre, Théâtre du Lucernaire

Avr 12, 2018 | Commentaires fermés sur Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe, texte et mise en scène de Julie Dessaivre, Théâtre du Lucernaire

 

© Elise Jaunet

 

ƒ Article de Corinne François-Denève

La virilité est-elle soluble dans le poil ? Sur l’affiche, Suzanne-Paul enfile un bas sur une jambe décidément bien velue. De poil, il sera souvent question dans ce Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe, nouvelle variation sur l’histoire de Paul Grappe, après l’ouvrage des historiens Fabrice Virgili et Danièle Voldman (La Garçonne et l’assassin), la bande dessinée de Chloé Cruchaudet (Mauvais Genre) et le film d’André Téchiné (Nos années folles). Soldat déserteur et mutilé, combattant traumatisé sujet à des crises nocturnes, en un mot homme lâche et « dévirilisé », Paul Grappe est un poilu devenu femme, par la magie du travestissement d’occasion. Caché un temps, il plonge ensuite avec sa femme dans les bas-fonds luxurieux et interlopes du Paris de l’après-guerre, avant de fort prosaïquement tomber sous les balles vengeresses de… son épouse, dans une variante inédite de crime passionnel. Pré-transgendérisme ? Postféminisme ? Les figures de Paul et de Louise Grappe se prêtent à nombre d’histoires.

Au théâtre, il faut faire endosser à l’acteur le travestissement, et le rendre « plausible », exercice périlleux, mais qui est aussi l’essence du théâtre. Il faut aussi montrer la descente vertigineuse dans le stupre du couple, sans les moyens de cadrage et d’ellipse que permettent le cinéma ou la BD. Julie Dessaivre choisit de nous montrer, sans vraiment la montrer, l’étape du travestissement : tandis qu’un autre personnage, la concierge, censée représenter le « comic relief », récite sans trop convaincre une histoire, de l’autre côté du plateau, à moitié dans le noir, Paul devient Suzanne, maquillé.e, coiffé.e par les mains expertes d’une autre femme, la romancière Lucie Mardrus-Delarue. Ensuite, Paul subit l’éducation des filles : « garçonne », la romancière lui apprend à se tenir en femme, à baisser les yeux, à ne plus conduire le tango… La leçon, à regarder, est un peu longuette, et hésite entre le comique et le grotesque. Lorsque le trio infernal se dirige vers le Bois de Boulogne et ses opportuns fourrés, le plateau se nimbe de nouveau d’une pudique obscurité : c’est en ombres chinoises que ces damnés sans épaisseur se livrent à diverses contorsions sur lesquelles le spectateur choisit de mettre un nom – ou pas.

Suzanne a les défauts de ses qualités : qualité que le choix de ce sujet, même s’il n’est guère neuf. L’équipe le tire toutefois vers une réflexion sur la violence, conjugale, ou étatique. Défauts que cette écriture collective si à la mode également, à base d’impros, mais qui ne permet sans doute pas un regard critique suffisant pour en gommer les facilités – adresse au 4e mur qui manque parfaitement son effet, choix de deux narratrices (la concierge, supposée variante du chœur antique devenu bon sens populaire, et Lucie Mardrus-Delarue, en protagoniste du 2e/3e sexe avant l’heure) qui finalement ne font que didactiser et alourdir le propos. Le choix d’insérer des chansons aurait pu être discutable : ces intermèdes musicaux ne sont que des illustrations accessoires, souvent très attendues (Mon homme, chanté au début et à la fin, dont on comprend assez facilement le lien avec l’histoire). Au vu de la qualité des interprètes, le choix est toutefois plaisant, et on se prend à regretter que l’équipe n’ait pas poussé l’entreprise à son terme en faisant de cette Suzanne un mélodrame plus chanté.

 

Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe, texte de Julie Dessaivre

Mise en scène  Julie Dessaivre
Avec  Édouard Demanche ou Matthieu Fayette, Constance Gueugnier ou Julie Dessaivre, Anaïs Casteran ou Léa Rivière, Zacharie Harmi, Éloïse Bloch

Création musicale  Edouard Demanche
Création lumière  Matthieu Tricaud
Costumes  Marie-Armelle Bloch
Régie générale  Nicolas Roy

Durée 1h15

Du 4 avril au 2 juin à 21 h du mardi au samedi

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006  Paris

Réservations  01 45 44 57 34
http://www.lucernaire.fr/

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