© Hervé Photograff
ff article de Denis Sanglard
Voilà de la belle ouvrage finement troussé ! Sucre d’Orge, corps bien fait et tête bien pleine, artiste burlesque et luthiste, signe un premier seule en scène, cabaret dessalé et leste, avec pour seul partenaire son luth. On saura tout sur le luth de la demoiselle, de son usage et maniement, de son anatomie, de son gros manche et de sa corde pincée. Spectacle musical et poétique fort savant où Le divin Arétin (Pierre de son prénom) de s’accoquiner avec Guesh Patti, la mélancolie du luthiste John Dowland (1563-1626) s’aboucher à la neurasthénie de Mylène Farmer, Nicolas Vallet (1583-1642) en remontrer à Air… On apprendra à distinguer la Gaillarde de la Pavane ou de la Branle qui ne sont pas des positions mais danses de cour. La demoiselle chatelaine pour l’heure, en robe légère et mousseuse, qui tombera bien vite pour plus de commodité, nous conte et chante ses nuits et ses jours… à choper un max, entre soirée taureau-mousse sous MDMA à la cour de Jeanne la Folle et pèlerinage à Maguelonne, où la vénération du prépuce de St Thomas d’Aquin n’est qu’un malicieux prétexte pour se faire promptement « déboiter » sur le chemin de St Jacques de Compostelle. D’un prépuce l’autre, elle n’hésite pas à sauter le pas. Et de la chapelle Sixtine à la chapelle Fistine, tout est une question de point de vue. Sucre d’Orge parcourt ainsi sa propre carte du tendre, mémoire coquine d’une jeune fille se refusant à être rangée.
Par la grâce de son luth bien emmanché, lequel, oui étrangement, n’a pas sa langue dans la poche et se rêve jouer du hard-rock, Sucre d’Orge noue adroitement le siècle de la Renaissance au nôtre qui partagent sans aucun doute les mêmes préoccupations, la même obsession, le même appétit affranchi de tout tabou pour le sexe. Enfin, se dit-on. Au final d’un siècle l’autre, entre le mot et la chose seul évidemment change le mot. Du vit à la teubé, du con à la teuchat, pas de différence quand au sens, ni aux sens par lui exacerbés. Traduction de ce polisson de L ’Arétin pour démonstration et « les sonnets luxurieux » acquièrent une touche de modernité n’en gardant pas moins son piquant fortement érotique. La demoiselle a des lettres et de l’esprit, beaucoup, et débite son récit sans afféterie, sans minauder jamais, avec une classe folle, beaucoup d’humour et d’intelligence, et un air mutin qui se voudrait d’innocence, de celle qui ne s’en laisse pas conter et pour qui, tout ça, est d’un grand naturel. Pour un peu on lui offrirait le bon Dieu sans confession malgré un texte pénétré de doubles-sens équivoques ou franc du collier. Il y a là quelque chose de féministe et joyeux, de joyeusement subversif et transgressif même dans l’affirmation d’une sexualité affirmée et célébrée où le sexe en majesté ici n’est pas une affaire en soi mais, décomplexé et sans provocation, une façon d’être la plus naturelle au monde et retroussée sans façon, ou presque, depuis belle lurette par la littérature érotique et dionysiaque. Sucre d’Orge est maîtresse de son plaisir, plaisir littéraire s’entend, qu’elle partage sans vergogne, héritière de nos troubadours et trouvères, il y eu des femmes quoiqu’on en dise, perpétuant une jolie tradition réservée désormais au cabaret. On retrouve justement cette signature propre aux artistes cabarettistes, dans cette faculté frondeuse à titiller effrontément son public rougissant, en faire son partenaire consentant et très vite conquis. Cette échappée ludique et bellement grivoise, ce pied de nez à la censure et à la réaction, dans un siècle qui ressemble étonnement au nôtre est un pur moment de jouissance pénétrante.
© Didier Bonin
Sucre d’Orge vous montre son luth, de Sucre d’Orge
mise en scène : Sucre d’orge et Clara Brajtman
Voix du luth : Pierre Buf
Et la participation musicale de Dee Huang
Tous les 3ème jeudi du mois à 21h15, dans le cadre des Divins Jeudis
La Divine Comédie
2 rue Saulnier
75009 Paris
Réservations : 01 42 46 03
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