À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements, Festivals // Submission Submission de Bryana Fritz à Lafayette Anticipations, dans le cadre du Festival Echelle Humaine

Submission Submission de Bryana Fritz à Lafayette Anticipations, dans le cadre du Festival Echelle Humaine

Sep 20, 2022 | Commentaires fermés sur Submission Submission de Bryana Fritz à Lafayette Anticipations, dans le cadre du Festival Echelle Humaine

 

© Marc Domage

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Si Submission Submission démarre par une harangue digne d’un bonimenteur de foire, ce n’est ni un hasard ni une afféterie de mise en scène. Au milieu de la foule des spectateurs attendant de pouvoir se diriger vers la salle du spectacle, sans crier gare, juchée simplement sur un plot de circonstance, Bryana Fritz amorce de la plus belle et juste des façons ses quatre portraits de saintes. Car il y a du freaks, du monstrueux, comme avec les bêtes de foire, dans cette procession de bienheureuses. Il y faut son pesant d’horreur et d’extraordinaire pour en faire, dans l’économie des signes populaires, un best-seller. Comme la variété à sa façon, la sainteté est une chose populaire. Et quand bien même les âmes sensibles pourront s’en trouver choquées (le spectacle est déconseillé aux moins de 16 ans), il faut reconnaître à Bryana Fritz une vraie fidélité à ce qu’elle nomme elle-même dans son prologue « les stratégies » des saintes, à savoir différents projets de mise en scène dans le seul but de nous amener à y croire. Ce n’est d’ailleurs pas sans évoquer la Benedetta de Paul Verhoeven. Le mystère qui transporte les foules est avant tout affaire de spectacle, affaire de moyens pour justifier la fin. Et les provocations sont nombreuses. Citons parmi les plus savoureuses : sur un air de Madonna, chanter  « I want to suck your cut » (Catherine de Sienne), ou encore sur les images défraîchies d’un porno lesbien, faire lecture des rêves érotiques d’une Jeanne alanguie en bikini sur le sable, et conclure « le nom de Jeanne est désormais sur les lèvres de tout le pays » (Jeanne d’Arc). Et pourtant, ces transgressions, ces outrances, ne sont-elles pas au point de jonction de toutes ces vies de saintes ? Si elles frappèrent tant leurs contemporains et devinrent légendaires, ne s’agissait-il pas avant tout d’une capacité inouïe à dérouter, à se rendre inacceptables au regard des mœurs de la société bourgeoise de leur époque, comme un corps étranger, comme le ver dans le fruit, et ainsi subvertir les valeurs dominantes ? Travail de sape, boulot de sainte.

Bryana Fritz excelle dans cette œuvre d’incarnation et de mise à distance, auquel le public collabore bien volontiers dans une liesse toute païenne. Les signes sont offerts, tels les stigmates, ou une langue coupée, apportant leur dû aux narrations transmises de toute éternité par les hagiographes. Les signes crèvent les yeux comme la lumière à travers les vitraux des vies de saint, mais la sainteté est en premier lieu une instance vitale. Au-delà de la représentation, qui n’est qu’enluminure d’une narration, importe la performance, l’activation hic et nunc pour le dire en latin, la mise en jeu des signes dans l’immédiate relation aux spectateurs, la réactualisation du modus operandi, la mise en branle généralisée de la sémiotique : Bryana Fritz possède cette radicalité nucléaire, cette énergie rock, cet art profondément vivant et tranchant de mettre son corps en partage, de mettre le doigt dans la plaie où ça fait rugir de plaisir. Elle a aussi cette incroyable et convaincante facilité au mentir vrai, à la bonne foi du simulacre, à la jouissive adhésion à la fable inventée de toute pièce sous nos yeux. La sainteté est peut-être le dernier état, glorieux, de l’actrice ?

Si, d’un bout à l’autre, depuis ce retable numérique 2.0, le corps se fait lascif, si la sainte se métamorphose en chatte brûlante exhibant une langue frétillante, si les récits se font enfin cochons, c’est peut-être aussi une manière pour Bryana Fritz de suggérer à travers ces vies dont elle se fait l’hagiographe amoureuse et à la suite de Georges Bataille : « de l’érotisme il est possible de dire qu’il est l’approbation de la vie jusque dans la mort ». L’absolu et éternel instant sexuel, vade-mecum de nos vies béates.

 

© Marc Domage

 

Submission Submission, chorégraphie, texte et interprétation de Bryana Fritz

Dramaturgie : Tom Engels

 

Durée : 1 h 15

Les 12 et 13 septembre 2022, à 20 h 30

 

Lafayette Anticipations – Fondation Galeries Lafayette

9, rue du Plâtre

75004 Paris

www.lafayetteanticipations.com

Tél : +33 (0)1 42 74 95 59

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed