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Street SceneS, d’après Kurt Weill, direction de Yshani Perinpanayagam, mise en scène de Ted Huffman, MC 93, Bobigny

Avr 21, 2024 | Commentaires fermés sur Street SceneS, d’après Kurt Weill, direction de Yshani Perinpanayagam, mise en scène de Ted Huffman, MC 93, Bobigny

© Robin Le Bervet – OnP

  

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Street SceneS est la version écourtée pour l’Académie de l’Opéra national de Paris de Street Scene, un opéra en deux actes de Kurt Weill se passant dans les années trente et créé à la fin des années quarante à Broadway. C’est sans doute l’ouvrage qui traduit le mieux la volonté du compositeur d’origine allemande, naturalisé américain, de réaliser d’une part une synthèse entre l’opéra (européen), le musical et le jazz (américains) et d’autre part sa finalité de fusion de la musique et du théâtre, lui-même se définissant comme un « compositeur de théâtre ». Si sa collaboration avec Brecht qui lui demanda (vingt ans avant) la musique de L’opéra de Quat’ sous est sans doute la plus connue, Street Scene a pour support la pièce éponyme d’Elmer Rice primée par le Pulitzer et jongle encore plus largement avec les références et les styles musicaux.

Le découpage retenu à partir de cette œuvre d’origine arrive à en restituer en moins de deux heures les messages principaux. La scénographie, sans autre décor qu’un garde-corps surplombant la fosse de l’orchestre, et la mise en scène très dynamique de Ted Huffman, permettent à l’énergie vibrante des jeunes artistes de l’Académie de s’exprimer pleinement. Ils courent, virevoltent, dansent, sautent autour de ce bassin musical avec les spectateurs en bi-frontal. Le rythme diminue rarement ou bien est relayé par une intensité dramaturgique telle que l’on regrette le fait qu’il y ait un entracte. La vitalité des chanteurs, d’inégale qualité (même si aucun ne démérite) sur le plan vocal, mais tous si investis, est un bonheur pour le public qui ne boudait pas son plaisir le soir de première, y compris les plus exigeants comme Laurent Naouri et Nathalie Dessay qui applaudissaient avec une joie non feinte de nombreux airs enthousiasmants. Et pourtant le sujet est loin d’être réjouissant. L’action se situe dans les quartiers pauvres de Manhattan, par une journée caniculaire où les habitants, pour partie désœuvrés ou dans des situations précaires, ne peuvent que se plaindre du climat et multiplier les commérages. Les uns et les autres se raccrochent à des semblants de moralité, critiquent la femme infidèle, qui a pourtant jusqu’alors été dévouée à sa famille et son quartier, interprètent les allers et venues de chacun, jugent les fréquentations pour mieux oublier leurs propres vies minuscules. Oui il y a peut-être un peu de Pierre Michon à la sauce new-yorkaise, et du Frederick Wiseman par anticipation. On est en plein dans la mise en place du Welfare mais la misère sociale est criante, le racisme toujours sous-jacent, l’alcoolisme dévastateur et le paternalisme violent. Et c’est pourquoi l’œuvre nous parle malheureusement encore aujourd’hui en Europe. Le féminicide frappe l’épouse délaissée et malmenée, qui avait été au bout de sa résilience, et in fine choisi les frissons de la vie pour tenter de la sauver, en dépit des mises en garde bienveillantes de sa fille Rose et des tentatives de son meilleur ami Sam de faire taire les commérages. La soprane russe Margarita Polonskaya excelle dans ce rôle d’Anna Maurran. On comprend pourquoi elle intégrera la troupe de l’Opéra à la rentrée prochaine !

Avec les coups de feu le noir descend sur le plateau auquel succède une lumière rouge sang, et puis la petite vie reprend son cours sur le trottoir étouffant du Lower East Side, douchant tous les idéalismes, toutes les tentatives de s’extirper de cette précarité matérielle et de ce dénuement, tous les rêves de liberté et d’ascension sociale, comme si la force de la destinée devait s’appliquer implacablement. Et pourtant, comme avec West Side Story de Bernstein bien plus tard, la musique brillante de Kurt Weill et énergiquement dirigée à la MC 93 par la cheffe Yshani Perinpanayagam, emporte tout misérabilisme et mélancolie sur son passage. En conclusion, une œuvre que l’on devrait voir plus souvent…

 

© Robin Le Bervet – OnP

 

Street SceneS, mise en scène et scénographie de Ted Huffman

Livret : Elmer Rice d’après sa pièce de théâtre Street Scene

Paroles : Langston Hughes et Elmer Rice

Direction musicale : Yshani Perinpanayagam

Mise en scène et scénographie : Ted Huffman

Costumes : Astrid Klein

Lumière : Bertrand Couderc

Chorégraphie : Jenny Ogilvie

Son : Christophe Hauser, Jean-Marie Roussel

Décor : Ateliers de la MC93

Assistanat à la direction musicale : Mariam Bombrun

Assistanat à mise en scène : Raphaël Jacobs

Avec les artistes en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris : Sima Ouahman (Greta Fiorentino), Seray Pinar (Emma Jones), Luis Felipe Sousa (George Jones), Adrien Mathonat (Carl Olsen), Margarita Polonskaya (Anna Maurrant), Ihor Mostovoi (Frank Maurrant), Teona Todua (Rose Maurrant), Kevin Punnackal (Sam Kaplan), Lisa Chaïb-Auriol (Shirley Kaplan), Sofiia Anisimova (Mrs Hildebrand)

Avec les artistes invités : Lindsay Atherton (Mae McGann), Robson Broad (Dick Jones), Teddy Chawa (Mr Sankey), Francesco Lucii (Mr Fiorentino), Cornelia Oncioiu (Olga Olsen), Jeremy Weiss (Harry Easter)

Les artistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine : Noah Diabate les 19, 23 et 27 avril, en alternance avec Marc-David Sopi les 21 et 25 avril (Charlie Hildebrand), Nicolas Brière les 19, 23 et 27 avril, en alternance avec Jurgis Margiris Paberzis les 21 et 25 avril (Willie Maurrant) ; les musiciens en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris et les musiciens de l’Orchestre Ostinato

 

Durée : 2h05 (entracte compris)

En anglais surtitré

21 avril 2024 à 16h, 23 et 25 avril à 20h, 27 avril à 18h

 

MC 93

Salle Oleg Efremov

9 boulevard Lénine

93000 Bobigny

www.mc93.com

 

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