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Soupirs mouillés sous les talons, une création d’Angélique Friant et Stéphane Blanquet, au Manège de Reims

Avr 09, 2025 | Commentaires fermés sur Soupirs mouillés sous les talons, une création d’Angélique Friant et Stéphane Blanquet, au Manège de Reims

fff article de Denis Sanglard

C’est un cabaret insolite et fascinant que nous proposent Stéphane Blanquet et Angélique Friand. Une immersion en apnée dans la tête de cet illustrateur connu pour son univers cauchemardesque et organique, mis en forme, matérialisé par Angélique Friant, metteuse en scène et marionnettiste. L’impression étrange d’être embarqué pour l’éternité dans un train fantôme glaçant, un cauchemar poisseux figé dans un présent qui se refuse au temps qui passe où ce maître de cérémonie, le visage engoncé dans un masque à sa propre effigie devenue grotesque, enfant boursoufflé au regard halluciné, officie sans jamais prononcer un mot, marmoréen et tranquille comme baptiste, ici chez lui, dans cette ambiance foraine propre à la monstration de phénomènes de foire. Dans ce cabaret horrifique et grand-guignolesque de drôles de créatures d’une élégance d’écorché s’affairent autour d’un castelet, un guignol traditionnel pour des marionnettes qui ne le sont guère, laides et démoniaques, ponctuant de leurs interventions au sabir incompréhensible, gromelot braillard et criard, leurs étranges et stupéfiants numéros dans une ambiance musicale à frémir concoctée par Emmanuel Hubaut, chanteur des tétines noirs, qui donne aussi de la voix, résolument rock, moulé dans un costume que l’anatomiste Honoré Fragonard n’aurait pas dédaigné. L’élégance et la sensualité de Lala Morte, femme fakir au corset pourpre éventré par quelque écorcheur, préférant avaler le feu que de le cracher, faire d’un tapis de verre brisé et enflammé une litière et, âme sensible s’abstenir, d’aiguilles bien effilées se transpercer les joues. Mais capable de douceur, de manier l’éventail de plumes pour un numéro burlesque dans la plus pure tradition. Et puisque la marionnette avait aussi son importance, Lala Morte avait ainsi son double. Troublante créature, souvenir lointain de la poupées de Bellmer, poupée-fétiche gémellaire animée par un grand mystère – celui de l’illusion – bientôt démembrée et dont la tête, détachée et flottante, semblait hanter les lieux et les spectateurs. Yaël Rasooly, incroyable soprano, en pourpoint noir aux ailes de chauve-souris et voilette, bousculant la barcarole d’Offenbach devenue folle et plus loin, minuscule marionnette devenue chanter en duo, dans la plus pure tradition cabarettiste, avec Emmanuel Hubaut, lui aussi rapetissé. Drôle et tragique une vieille striptease officiait aussi, de la nuisette au dentier rien ne restait plus que ce corps décharné de poupée flétrie par les ans. Et dans les hauts des gradins du manège, dans une boite, petit théâtre blanc et noir, dansait follement un étrange personnage ectoplasmique. On vit même un homme-lombric, hommage au Freaks du réalisateur Tod Browning. Monstrueuse parade, installation, performance, cabaret c’est tout ça à la fois, un univers visuel tourmenté et âpre qui vous saute à la gorge, ne vous lâche plus, habité de chimères, artistes hors-normes et subversifs, entourant Stéphane Blanquet, ce vieux petit garçon aux noirs desseins obsessionnels.