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Sopro, spectacle de Tiago Rodrigues/Teatro Nacional D. Maria II, Festival d’Automne à Paris

Oct 05, 2020 | Commentaires fermés sur Sopro, spectacle de Tiago Rodrigues/Teatro Nacional D. Maria II, Festival d’Automne à Paris

© Filipe Ferreira

 

ƒƒƒ Article de Denis Sanglard

Cristina Vidal murmure à l’oreille des comédiens. Souffleuse au Teatro Nacional D. Maria II de Lisbonne dont Tiago Rodrigues est le directeur. Mais bien plus encore. Mémoire vivante du théâtre, d’un monde où illusion et réalité parfois se confondent, se dévorent, se nourrissent l’un l’autre. Personne de l’ombre, de sombre vêtue, elle refuse la lumière. Pourtant Tiago Rodrigues réussit ce miracle inouï malgré ses réticences légitimes de la porter là, sur ces planches disjointes, ce plateau, parsemé d’herbes folles, balayé par les vents, d’un souffle continu et fou. Les acteurs entrent sur le plateau. Cristina est là, concentrée, texte en main, qui accueille chacun en silence, chuchote, murmure, va d’un comédien l’autre, indique sans un mot les places entre jardin et cour, lointain et face. Et à l’écoute attentive des répliques soufflées à bas-bruit, les comédiens se métamorphosent, les personnages s’incarnent. Antigone, Bérénice, Harpagon, Cristina et Tiago. Eux deux devenus personnages interprétés à leur tour par deux acteurs. Tant de voix qui bruissèrent et bruissent encore entre ces murs et se taisent soudain : le trou. Vie interrompue dans l’attente inquiète et fébrile du chuchotis qui nouera de nouveau le fil de l’incarnation perdue. Cristina Vidal dont « la discrétion se doit d’être proportionnelle à l’indiscrétion des acteurs » se souvient. De la petite fille de cinq ans découvrant le théâtre par le trou du souffleur, les doigts posés bien à plat sur les planches, planches qui la brûlent. Des acteurs dont elle ne voit que le profil, les coudes, le dos et le nez. Et les fesses. Des amours qu’elle devine. Des confidences accordées. De la mort qui rôde. Extraits de pièces, rejoués par les acteurs, soufflés par Cristina, L’Avare, les trois Sœurs, Bérénice, Antigone. Dialogue avec Tiago Rodrigues à qui elle réfute, têtue, les arguments. C’est un tissage étroit, léger comme la soie des rideaux du plateau, chaine d’anecdotes, de pièces évoquées, rejouées et conversation avec Tiago Rodrigues sur la possibilité de ce spectacle qu’elle rejette parce que obstinément femme de l’ombre « recevoir les félicitations du public serait un échec » et qu’en quarante ans ses interventions se sont bornées, tout compte fait et notées sur les scripts conservés, à 18 minutes et quarante-sept secondes. Pas de quoi faire un spectacle donc…  Mais au-delà, la beauté intrinsèque et sublime de cette création élégante de bout en bout tient à ce fil tendu et ténu entre la vie et le théâtre. Et l’on découvre combien parfois un rôle imprime une vie, l’expérience d’une vie transfigure un rôle. C’est dans ce mouvement pendulaire qui oscille d’un pôle à l’autre que nous sommes radicalement bouleversés… Que la directrice du théâtre atteinte d’un mal incurable rejoue l’annonce de celui-ci avec son amant, comédien de la troupe, jusqu’à trouver le ton juste devenant ainsi son propre personnage, avant d’acter plus loin sa rupture et sa mort prochaine dans la scène finale de Bérénice, la gorge soudain se noue, les larmes viennent. Parce qu’elle n’ira pas jusqu’au bout de cette réplique, sept vers manqueront à jamais ce soir-là quand le rideau tombera définitivement sur une vie. Et c’est la mort au travail que Cristina a vu, incapable à son tour de souffler, épousant ce soir-là le souffle manquant de l’actrice. Vertigineuse mise en abyme où le théâtre n’est que le reflet et la mémoire vaste du monde, Sopro est une traversée du miroir, poétique et souvent drôle,  entre la réalité et le théâtre. Ce que dévoile Cristina Vidal, gardienne vigilante de la mémoire de ces lieux et représentante de tous les humbles soutiers de la création, avec beaucoup de pudeur, c’est cette part intime et tout à la fois universel, vitale et toujours contemporaine, qui traverse la création, le théâtre et parle à chacun. Sopro est d’une grande et belle légèreté, d’une beauté absolue, d’une bonté même, d’une vérité à nos oreilles chuchotée qui vous renverse, à vous couper le souffle. Pas celui de Cristina Vidal à qui il revient de conclure, à claire et haute voix. Sur le plateau déserté des comédiens, elle prononce enfin, élégie funèbre pour celle qui l’engagea pour « sauver les comédiens, ce qu’elle ne put souffler un soir, les sept derniers vers de Bérénice… »

 

© Filipe Ferreira

 

Sopro de Tiago Rodrigues / Teatro Nacional D. Maria II

Avec Isabel Abreu, Beatriz Bras, Sofia Diaz, Vitor Roriz, Joào Pedro Vaz, Cristina Vidal

Scénographie et lumière Thomas Walgrave

Costumes Aldina Jesus

Son  Pedro Costa

Assistant à la mise en scène Caraeina Rôlo Salguiero

Texte portugais traduit en français Thomas Resendes

 

 

Malakoff scène Nationale Théâtre 71
Les 7 et 8 octobre 2020
Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine
Le 10 octobre 2020
Points Communs, Nouvelle scène nationale Cergy-Pontoise / Val d’Oise
Le 13 octobre 2020
Espace 1789 / Saint-Ouen, Scène conventionnée danse

Les 15 et 16 Octobre 2020

 

 

Festival d’Automne à Paris

Réservations 01 53 45 17 17

www.festival-automne.com

 

 

 

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