© Quentin Chevrier
ƒƒ article de Denis Sanglard
Trois jeunes chorégraphes, trois solos d’une grande densité et trois interrogations, trois manifestes esthétiques originaux avec pour dénominateur commun l’aliénation du corps…
© Quentin Chevrier
Une marche nuptiale telle une marche funèbre, ainsi avance Rebecca Journo, se frayant un chemin parmi la foule compacte qui l’enserre. L’épouse, comme La mariée de Niki de Saint Phalle, le burlesque en moins, la tragédie en plus, c’est un long cri muet -celui du Butô – contre les injonctions patriarcales et l’aliénation du corps des femmes. Tout le corps de Rebecca Journo, poupéemécanique fantomatique qui hoquette, marionnette prêt de se désarticuler, hurle sans un cri, supplie, se cabre, choit, avance contraint vers un destin de soumission qu’il refuse. Le regard cherche dans la foule un appui qu’il ne trouve pas. Solo captivant, performance d’inspiration butô dont elle reprend les codes, cette capacité singulière de transcender le corps à la recherche d’un état archaïque, celui des profondeurs de l’inconscient prêt de jaillir, propre à la métamorphose, au tragique de la condition humaine. Performance brève et radicale, qui condense en un peu plus de vingt minutes l’histoire de la condition féminine sans autres démonstration qu’une marche lente heurtée, cérémonie sacrificielle et glaçante qui voit disparaître le femme pour l’épouse.
L’épouse, coneption et interprétation Rebecca Journo
Musique : Claire M. Singer – The Molendinar Written & performed by Claire M. Singer, Published by Touch Music / Fairwood Music
© Quentin Chevrier
Je est un autre. Outrar, conçu par Lia Rodrigues, chorégraphié et dansé par Calixto Neto, c’est une réflexion sur l’identité, quand le corps est considéré par la société comme « autre ». Comment dés-lors assumer cet « autre » invisibilisé, marginalisé, quand soi-même est aussi considéré comme « autre », comment l’incarner par la danse ? La danse est alors pour Calixto Neto ce passage vers « l’autre », dans un mimétisme prolixe du geste que l’on s’approprie et retravaille pour le faire sien. Le corps ainsi multiplie les identités empruntés pour n’en faire qu’une. Ce corps invisible, sans visage, opère une lente métamorphose, la danse devient un rituel chamanique de possession qui révéle ces invisibles dont Calixto Neto entreprend à sa façon le récit, un récit nourris d’autres récits et sources inscrits dans le corps de Calixto Neto, porte-faix de ces « « autres » qui le possèdent désormais et qu’il possède à son tour. Un travail de mémoire. La métamorphose ainsi accomplie, Calixto Neto se défait de ce qui le cachait à notre regard et le corps mis à nu, la mue opérée, se révèle à nous dans sa différence assumée, revendiquée, une et multiple. Une différence réflexive qui devient l’épicentre d’une danse au final bien plus subversive qu’il n’y parait.
Outrar, concept et invitation Lia Rodrigues
Chorégraphie et interprétation, Calixto Neto
© Quentin Chevrier
H H H soit Hand, Heard, Head… Ou comment avec beaucoup d’humour et de virtuosité Thibault Eiferman déconstruit et dynamite allègrement les stéréotypes corporels attachés à la danse, voire à la masculinité. Pour unique partenaire, un mannequin de vitrine, corps parfait, aussi parfait que la plastique de ce danseur qui bientôt se démantibule autant qu’il désarticule et démembre son acolyte de celluloïde qui n’en demandait sans doute pas tant. Une dislocation des deux pour manifeste contre les clichés normatifs et masculiniste qui empoisonnent jusque dans la danse laquelle, particulièrement le classique dont ici il est fait démonstration impeccable, exige (ou exigeait) perfection corporelle, technique sans faille, soit une pression sociale et artistique jusque sa transmission inconsciente dont Thibault Eiferman se dégage, un coup de pied à l’âne pour revenir à l’essentiel, la danse décorsetée de tous clichés tenaces à commencer par le corps idéal qui n’est qu’une construction sociale ou esthétique, un artefact. Le mannequin démonté et remonté de façon aléatoire, n’est que l’hypothèse et l’affirmation qu’un autre corps est possible à l’image de Thibault Eiferman qui des bras et jambes de son partenaire désolidarisés fait un usage original, extensions de son propre corps ainsi augmenté et défiant toute esthétique attendue. Avec une obstination à casser toute attitudes et vocabulaires chorégraphiques, positions traditionnelles classiques ou contemporaines, qui le voit désarticuler la forme pour en créer une autre innatendue et certes pas dans la norme. Il ne s’agit pas de faire jolie, ni de faire le beau, mais d’être dans une vérité du corps dépouillée de tout artifice, de tout carcan. La beauté n’étant que dans la vérité nue d’un corps et dans sa diversité.
H H H (Hand, Heard, Head), chorégraphie et interprétation, Thibault Eiferman
Les 26 et 27 juillet à 16h
Palais de la Porte Dorée
293 avenue Daumesnil
75012 Paris
Réservation : 01 44 94 98 00
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