© Axelle de Russé
ƒƒ article d’Isabelle Blanchard
Julie Bérès nous offre un conte fantastique et cruel sur notre rapport à la nature dans un style très singulier à la fois romantique et horrifique. La première partie, un documentaire-fiction, met en lumière des enfants et leur rapport à l’animalité, au sauvage. Les arbres bourgeonnent, l’herbe est joliment verte. La nature est comme un terrain de jeu pour ces enfants qui grimpent aux arbres, se construisent des bateaux de fortune et voguent sur l’eau, se nourrissent de poisson pêché et interagissent avec des animaux de basse-cour. Ils parlent aussi, répondent à des questions et ainsi nous donnent en partage leur vision de la nature, de l’animal, du civilisé, du sage et du sauvage et du statut de grand commandeur, consommateur endossé par l’Homme.
Puis l’écran disparaît et les acteurs entrent en scène. C’est l’histoire, librement inspirée d’un conte inédit de Joël Jouanneau, un enfant abandonné dans la neige est élevé par une louve. A la mort de cette dernière tuée de la main de l’homme, l’enfant, devenu enfant-loup est recueilli par un homme nommé « maître » qui s’évertuera à l’éduquer, à le dresser. Au-dessus de la scène un écran en forme de U restitue les scènes captées en direct soit directement soit fondues dans des images de fleurs, de nature. Deux dispositifs très inventifs sont au plateau. Un paysage d’arbres qui se déroule sur un circuit et qui nous offre l’impression de déambuler dans une forêt et un rocher entouré d’eau représentant l’île. Les gros plans autour et via ces dispositifs retransmis à l’écran nous plongent dans un monde avant notre monde.
Le plateau est sombre, les acteurs sortent de cette nuit, de cette grotte, grâce à de très belles lumières qui les illuminent. Les images données au plateau sont belles elles aussi, très léchées, comme des peintures ou des photos tout en clair-obscur et font écho aux images transmises à l’écran captées en direct. Les nymphes parées de fleurs évoluent au plateau telles des danseuses graciles. Ce qui contraste avec les gestuels de l’enfant et du maître plus saccadés, qui eux sont dans une lutte, un combat douloureux pour arriver à un état dit civilisé.
La musique, le chant donnent à la pièce des airs de douce comédie musicale. On passe d’un état à un autre, de la lumière à l’obscurité, du vivant à l’image, du doux et floral au sang et aux cris, du beau au laid, du joyeux au drame, pour mieux brouiller les pistes entre l’avant et le maintenant, le conte du documentaire et ainsi tout se lie et tout se fond.
Julie Bérès donne à ce conte une esthétique très singulière à travers une ambiance nimbée de mystères. Nous oscillons entre conte de fées et conte horrifique. Et si cela ne m’a ni touché ni émue, il faut reconnaître que ce travail est très beau et que le jeune public, dont j’ai entendu les commentaires ravis à la fin du spectacle, était enchanté, qu’il s’agisse de collégiens ou de lycéens.
Julie Bérès interroge notre relation à la nature, ce que cela peut signifier de vivre avec, dans, au milieu du monde vivant et pas uniquement de l’Homme et de cette volonté de civilisation par le dressage et l’aliénation et le désir de l’Homme de dominer contrôler ce qui l’entoure. C’est un très bel objet artistique qui fait vivre un autre monde merveilleux et horrifique avec de beaux chants, belles lumières, une interprétation très réussie mais qui m’a laissé un peu froide. Je m’interroge sur le message qu’elle souhaitait transmettre, c’est un état des lieux plus qu’un positionnement et le parti pris de la metteure en scène m’a manqué. Ou n’ai pas su le voir ? C’est aussi possible…
© Axelle de Russé
Soleil Blanc, conception & mise en scène Julie Berès Compagnie Les Cambrioleurs
Avec Laurent Cazanave, Valentine Alaqui, Mélanie Couillaud, Kyrie Krist
Dramaturgie Pierre Chevallier
Documentaire Julie Berès, Christian Archambeau, Jonathan Michel
Conte librement inspiré d’une fable inédite de Joël Jouanneau, Korb Oratorio composé avec l’aide de Kevin Keiss
Création sonore & musicale David Bichindaritz, Kyrie Kristmanson
Lumières Christian Dubet
Vidéo Christian Archambeau, Jonathan Michel
Scénographie Julien Peissel
Costumes Marie-Cécile Viault
Du 22 novembre au 1er décembre 2018 à 16h00 et 20h00
Durée 1h30
S’adresse aux adultes et aux enfants à partir de 10 ans
Théâtre des Abbesses
31, rue des Abbesses
75018 Paris
Réservation par téléphone : 01 42 74 22 77 de 11h à 19h du lundi au samedi
Ou theatredelaville-paris.com
https://www.theatredelaville-paris.com/fr/lieux/theatre-des-abbesses
comment closed