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Si tôt déjà ! d’après Karl Valentin, mise en scène de Gatienne Engélibert, Théâtre Le Local

Nov 14, 2022 | Commentaires fermés sur Si tôt déjà ! d’après Karl Valentin, mise en scène de Gatienne Engélibert, Théâtre Le Local

ƒƒ Article de Sylvie Boursier

Connaissez-vous Karl Valentin cet illustre inconnu ? La « oui-ouite » ça vous parle ? Et la poudre à récurer universelle FixFix ? Quels sont les bienfaits et nuisances du « popular cafer », le populaire cafard bleu noirâtre [..]qui vit de 6 à 4 semaines et succombe la plupart du temps à une mort non-naturelle bien que rapide causée par la semelle d’une chaussure humaine ? »

Vous vous fichez pas mal de tout ça ? Erreur ! Valentin Ludwig Fey, alias Karl Valentin, fut célèbre avant-guerre dans les cabarets munichois pour ses sketches anticonformistes qui brocardent la folie ordinaire de ses congénères bavarois. Précurseur de Devos, cousin de Groucho Marx et du grand Buster, contemporain de Chaplin il mourra dans l’anonymat le plus total. Et pourtant sa verve comique dynamite les tracasseries administratives, l’absurdité d’une technologie qui vous fait tourner en bourrique, les pièges du marketing, les tics de langage et homophonies de tous poils.

La compagnie du Frêne a eu la bonne idée de composer une fantaisie burlesque en 16 tableaux à partir de 12 textes de l’auteur, un florilège qui montre la variété du talent de ce touche à tout bricoleur.

Dans la famille Frêne il y a d’abord François Accard, planche à pain qui ne sourit jamais et maîtrise l’art de la chute Keatonienne. Avec son acolyte, René Hernandez, plus rondouillard et très jovial, ils se renvoient la balle et jouent du contraste comme ressort comique, accompagnés par un pianiste impavide Blaise Pavie qui condescend à danser le madison à l’entracte tandis que l’accorte Laetitia Leroy distribue bonbons, café froid et soupe à l’avenant. La mise en scène ciselée de Gatienne Engélibert est précise comme une horloge suisse sur fond de bric à brac dadaïste ; les objets se barrent, tanguent sur un bateau ivre et les deux compères tentent de contrôler leur environnement fait de cordages à linge, de trois caisses, d’une cage à oiseaux, de quelques planches savamment agencées où se perchent ampoules, chapeaux et cravates.

On n’est pas près d’oublier la conférence imaginaire de ce professeur Nimbus sur les nuisibles ordinaires qui finit enroulé de papier tue-mouche et poursuit vaillamment sa démonstration tandis que sont projetées les diapositives desdits spécimens ventrus. Inoubliable également la pantomime d’un imprimeur excédé qui cherche désespérément à joindre le bon service tandis qu’une bande-off pré enregistrée lui débite les formules d’usage, « vous avez besoin d’aide tapez sur la touche 2 ». Le comédien élastique part en vrille confronté à cette machine qui s’efforce de reconnaître une séquence de mots significatifs. « La langue de bois c’est immangeable » disait Raymond Devos, excepté quand elle s’emballe en jeux de mots surréalistes :

– « Ah bon, aujourd’hui vous auriez le temps ? Alors, venez avec moi.
– Où ça ?
– N’importe où.
– Ah, j’y suis déjà allé ! »

Ne vous méprenez pas, Karl Valentin est plus qu’un simple amuseur, certains moments sont glaçants, même la mort n’interrompt pas les conflits d’intérêt.

Cette fantaisie musicale renoue avec l’esprit des tréteaux, qui montre les éternels délaissés, le peuple des petits métiers, rémouleur, brocanteur, bonimenteur, herboriste. Jouable dans des espaces non dédiés, ce cabaret s’adapte à (presque !) tous les lieux : médiathèque, café, galerie, jardin, etc.

Nous vivons dans un monde de fous et les blagues de nos humoristes sont souvent consternantes de sottise, raison de plus pour déclarer d’utilité publique ce cocktail réjouissant. Bertold Brecht a dit de Valentin « Cet homme est une blague sanglante. Il nous démontre les rapports qui existent entre la placidité, la bêtise et les joies de l’existence », pas mal non ? Si tôt déjà, sans effets spéciaux ni artifices fumeux enchantera petits et grands, oui oui ! courrez y !