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Showgirl, conception, texte et interprétation Jonathan Drillet et Marlène Saldana, au Théâtre de la Bastille

Fév 28, 2024 | Commentaires fermés sur Showgirl, conception, texte et interprétation Jonathan Drillet et Marlène Saldana, au Théâtre de la Bastille

 

© Thomas Hennequin

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Elle fut un éléphant, Staline, Jacques Demy aussi… Inclassable, Marlène Saldana est une drag-queen, créature flamboyante, entre le travesti Divine et l’effeuilleuse Dirty Martini. Monstresse, ogresse, mais avant tout elle-même, actrice et performeuse dans la démesure et l’impudeur absolue, le corps en avant, jeté sans peur dans la bataille, un corps imposant dont elle fait un formidable outil burlesque, scénographique et dramaturgique. S’attaquer, et ce verbe a son importance, à Showgirls, le film polémique de Paul Verhoeven sorti en 1995, étrillé salement par la critique, devenu culte depuis, relève d’un sacré culot. La différence tient au singulier du titre puisque dans ce reenactment complétement fondu et cramé, Marlène Saldana est seule pour jouer et danser tous les rôles. On s’y perd un peu c’est vrai mais on s’en fout royalement devant cette performance hallucinante où le grotesque copule ardemment avec le tragique pour atteindre une terrible et sardonique vérité abrupte. Seule donc, ou presque puisque l’accompagne dans cette chevauchée sauvage Jonathan Drillet, pour chanter ce film en décasyllabe aux rimes pauvres et rythme techno entêtant, « une musique de merde », ritournelle obsédante composée avec un talent certain par Rebeka Warrior. Marlène Saldana danse furieusement comme une show-girl désaxée, écorchée et nue, donnant autant dans le minimalisme relatif que dans l’expressionisme allemand, voire le butô, ces deux derniers allant parfois de pair. Suivant en cela les consignes imposées par Verhoeven à Elizabeth Berkley de s’inspirer d’Ivan le terrible d’Eisenstein, fourvoyant de fait la critique ne voyant dans cette performance implacable qu’un grossier cabotinage d’une actrice nulle. On retrouve là l’interprète géniale qu’elle fut pour Boris Charmatz.

C’est franchement cru, joyeusement obscène, avec un jouissif premier degré qui l’exempte de toute provocation. C’est trash et cash, kitch à mort comme une revue érotique cheap d’un cabaret de seconde zone, camp’ et queer dans le mauvais gout classieux parfaitement assumé, le glamour pathétique déglingué et clinquant des torch-song.

Et tout ça, rondement mené, est fort malin. Redoutable même. Dans cette démesure, cette extravagance, ce n’importe quoi sublimé, il se dit des choses intelligentes, essentielles, urticantes. L’histoire de Nomi Malone, qui rejoint celle de son interprète Elizabeth Berkley dans une mise en abime vertigineuse et tragique, dévoilée ici, n’est ni plus ni moins que celle de la violence d’un système masculiniste toxique. La petite stripteaseuse se rêvant meneuse de revue c’est la lutte des classes en coulisses, la lutte des sexes appliquée au show-biz, l’ambition au risque de l’humiliation. Sous le fard et les paillettes, la crasse et l’ordure. Pas pour rien que Marlène Saldana redevient ce qu’elle est, abandonnant son personnage de performeuse sulfureuse pour des intermèdes, propos de loge à bâtons rompus avec Jonathan Drillet, le temps de coller ses faux-ongles et d’enfiler un string. On y parle de cul, celui des actrices humiliées, sous emprise, lors des tournages par des metteurs en scènes prédateurs et sans aucun scrupule. « Comme si une actrice ne pouvait pas jouer l’humiliation ! ». Citant nommément Maria Schneider jamais remise d’un pas de deux avilissant, un tango qui fut le dernier d’une carrière marquée par ce viol imposé par Bertolucci. Un viol, pas d’autre mot, anéantissant la femme et l’actrice. Et l’actualité de s’ inviter sur le plateau à bas-bruit… Retour donc sur une réalité sordide qui éclate désormais hors des plateaux dont le film de Paul Verhoeven n’était que l’hyperbole. Vérité qu’on se refusait alors à voir en dénonçant la forme, sacrifiant du même coup l’interprète devenue le bouc émissaire d’un aveuglement coupable, pour mieux oblitérer le fond indéfendable. Et c’est précisément en dynamitant la forme, dans la surenchère, que Marlène Saldana et Jonathan Drillet donnent enfin à voir la violence du fond. C’est tout autant subversif que magistral.

 

 

© Thomas Hennequin

 

Showgirl, conception, texte et interprétation Jonathan Drillet et Marlène Saldana

Librement inspiré de Showgirls de Paul Verhoeven (1995)

Création musicale : Rebeka Warrior

Mix : Krikor

Conseil chorégraphique : Mai Ishiwata

Scénographie : Sophie Perez

Sculpture : Daniel Mestanza

Création costumes, maquillage et perruque : Jean-Biche

Lumières : Fabrice Ollivier

Son : Guillaume Olmeta

Assistant : Robin Causse

Régie générale : François Aubry dit Moustache

 

Du 26 février au 9 mars 2024 à 20h30

Les samedis à 18h, relâche le 29 février, dimanche 3 et jeudi 7 mars

Durée 1h25

Spectacle déconseillé au moins de 16 ans

 

Théâtre de la Bastille

76 rue de la Roquette

75011 Paris

 

Réservations : 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com

 

Tournée :

12 au 14 mars 2024 CDN de Besançon

17 au 19 mars Quartz de Brest

 

 

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