© Mayra Wallraff

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Faire irruption, c’est faire que le réel érupte, spectaculairement. Une porte métallique s’ouvre, projetant brusquement, comme un corps incongru, un immense rai de lumière dans l’obscurité de la salle. A sa suite, la refermant, Liina Magnea, corps nerveux, jaillissant, un trousseau de clefs à la main. Elle les agitera comme une sourcière sa sonde, animant l’air de ses cliquettements métalliques, comme autant d’éraflures portées à la mue de l’espace. Dans l’espace électrisé, mise sous tension du corps, de ses muscles : il y a de l’animal encagé dans la succession des mouvements, dans ses saccades. Et dans cette tenue noire, on perçoit quelque chose de bondage, habillant le corps comme pour le ficeler. Liina Magnea travaille à cela : un art de la contention pour accroître encore les tensions qui nous traversent. Si sa performance se construit en agglomérant des matériaux particulièrement hétéroclites, de l’installation d’art contemporain à la comédie musicale, Liina Magnea est elle-même le creuset où se fondent ces genres que tout oppose.

Sa présence n’est pas dans cette transparence, cette distanciation nonchalante, que l’on retrouve si fréquemment dans l’esthétique des arts vivants contemporains, elle est au contraire d’une irréductible incarnation, d’un jeu plein et opaque, investissant tout son corps, jeu de rôles sidérant comme celui que l’on peut découvrir en observant des enfants jouant seuls dans leur chambre, inventant leur monde.
She’s constructing the Exit signs, dans sa réalisation, possède quelque chose d’éminemment sexuel, sans que cela ait trait à ses séquences faisant explicitement référence au sexe (telle cette scène de masturbation pendant un appel téléphonique), non cela vient d’une manière de rendre le jeu du réel, et le réel du jeu, turgescents à force d’en bander les muscles. Fascinant ! si l’on veut bien entendre aussi dans ce mot sa racine sexuelle. Par cette manière très singulière de s’approprier la comédie musicale, Liina Magnea la remplissant d’une énergie, d’une volonté, à lui faire craquer ses coutures bien proprettes, je me fis la réflexion, me surprenant moi-même, que le geste artistique de Liina Magnea n’était rien d’autre qu’un fist de la forme spectaculaire, et que ce qui avait lieu, puissamment, pouvait se vivre comme une forme au bord de la rupture. Intuition hasardeuse, scabreuse, mais Liina Magnea nous plonge dans cette rêverie plus réelle que le réel, travaillant notre esprit au corps, et, confirmant nos pensées étranges, elle affiche un poing, prolongeant un bras droit et raide, qu’elle enfonce dans le corps d’une marionnette de mousse, par un geste sans équivoque, pénétrant ainsi cet acolyte de jeu avant de lui faire prendre vie.

Surréaliste, Liina Magnea œuvre dans l’énigme, retrousse les chairs, incarne la pulsion, et dans sa littéralité, dans cette empreinte brûlante d’une figure trop présente quand bien même elle ne serait que représentation, déjoue la pensée.

© Mayra Wallraff

She’s constructing the Exit signs (Hope & Delusion)

Chorégraphie, performance, et composition : Liina Magnea
Composition musique : Hjörtur Hjörleifsson
Costume : Taylor Thoroski
Support dramaturgique : Jette Büchsenschütz
Lumières : Hanna KRITTEN Tangsoo

Durée : 50 minutes

Le 31 mai et 1 er juin 2023 à 20h

La Chaufferie
Quartier Delaunay – Belleville
10bis rue Maurice Thorez
93200 Saint Denis

https://www.cie-dca.com

Tél. : +33 (0)1 48 13 05 06

Dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

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