À l'affiche, Critiques // Sei personaggi in cerca d’autore, de Luigi Pirandello, mise en scène de Luca De Fusco, Athénée-Théâtre Louis Jouvet

Sei personaggi in cerca d’autore, de Luigi Pirandello, mise en scène de Luca De Fusco, Athénée-Théâtre Louis Jouvet

Fév 08, 2019 | Commentaires fermés sur Sei personaggi in cerca d’autore, de Luigi Pirandello, mise en scène de Luca De Fusco, Athénée-Théâtre Louis Jouvet

 

© Marco Ghidelli

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Réalité ou illusion, les frontières au théâtre sont poreuses. Quel rapport entre le vrai, le vraisemblable et le faux ? Entre l’acteur, le rôle et le personnage ? Entre le théâtre et la vie. Parce que leur auteur les a privés du drame et de sa représentation nécessaire à leur existence, six personnages sont en quête d’un nouvel auteur. Etres sans raisons d’être ils surgissent sur un plateau, au milieu d’une répétition, exigent d’être enfin représentés. Devant l’incompréhension du metteur en scène, son adaptation vulgaire aux exigences du théâtre, et l’incapacité des acteurs à les représenter, sinon par stéréotypes, s’opposant donc à la troupe médusée les six personnages imposeront leur tragédie familiale qu’ils joueront eux-mêmes. Qu’ils soient accomplis, le père et la fille autour desquels l’intrigue se noue, ou simplement esquissés, la fillette et l’adolescent, ou se refusant simplement à être un personnage dramatique qui le détermine, le fils, ils révèlent combien échappent à leur auteur et aux acteurs les créatures, même refusées par le premier et interprétés par les seconds. Pièce complexe tant Pirandello joue avec habileté sur les mises en abyme, les emboîtements. Théâtre dans le théâtre, drame dans le drame, représentation dans la représentation, vérité dans le mensonge, fiction dans la réalité… Tout ne cesse de basculer, se retourner et d’infirmer nos certitudes. Ce qui pourrait apparaître confus, chaotique est une merveille de mécanique de précision. Pirandello se défendait de tout symbolisme et c’est le plus simplement du monde, avec raison, que Luca de Fusco aborde cette pièce. Frontalement et sans esbroufe, au plus près du texte et de ses écueils qu’ils se refusent à contourner. La mise en scène de facture classique n’est en soi pas révolutionnaire. C’est une ligne claire, une ligne droite et fluide, tendue, qui nous guide dans ce labyrinthe avec subtilité et efficacité et sans rien, avec justesse, esquiver de cette trame complexe… Un jeu de lumière enveloppe nos personnages de fiction dans un (mélo)drame expressionniste en noir et blanc et, les séparant, contraste avec celle crue et naturaliste du plateau de répétition des acteurs. Sans que jamais l’un ne soit absorbé par l’autre. Luca de Fusco joue délibérément de ce contraste qui enferme de façon résolue les personnages dans leur fiction et signe leur échec, leur tragédie. A moins qu’elle ne les protège d’une réalité par trop étroite. Comme l’incapacité des acteurs attachés aux conventions d’un genre à interpréter la vérité, la complexité d’un personnage même inabouti. En ce sens jouer, paradoxe pirandellien, serait trahir le personnage. Surtout, atout majeur, il s’appuie sur une troupe formidable, celle du Teatro Stabile di Napoli. Qui, s’emparant d’un même élan de ce texte, se déjoue à merveille des chausse-trappes de cette dramaturgie diabolique, du jeu qu’elle implique, et donne tout à la fois une cohérence à l’ensemble, une harmonie et une belle énergie. Eros Pagni, le père, et Gaia Aprea, la fille, sont tout bonnement magistraux. Personnages de fiction à la recherche d’une existence, ils nous époustouflent littéralement par leur jeu d’une profondeur qui ne verse jamais dans le trop-plein, l’exagération, malgré une volonté de mise en scène expressionniste ou néo-réaliste, entre-deux fragile. Mieux même ils renversent très vite les codes attendus et donnés pour enfin « être », enfin atteindre ce que Pirandello nommait l’essence de leur personnage, « plus réels et plus consistants que le naturel changeant des acteurs », sans jamais oublier de nous faire croire qu’ils ne sont que des personnages de fiction. C’est cette ambiguïté-là qu’ils provoquent avec maestria, qui nous trouble fortement jusqu’à la fin. Du grand art. « Fiction ! Réalité ! Allez au diable tous autant que vous êtes ! » hurle le metteur en scène tandis que s’efface, redevenus des ombres, les personnages au nombre désormais de quatre. Car la mort ici n’a que faire de la fiction. (Signalons, juste pour le plaisir, l’apparition surréaliste, incroyable, une courte scène, de la maquerelle madame Pace, Angela Pagano, laquelle dévore la scène de sa présence énigmatique, semblant sortir tout droit d’un tableau de Goya.)

 

 

© Marco Ghidelli

 

Sei personaggi in cerca d’autore de Luigi Pirandello

Mise en scène de Luca De Fusco

Avec Eros Pagni, Federica Granata, Gaia Aprea, Gianluca Musiu, Silvia Biancalana, Maria Chiara Cossia, Angela Pagano, Paolo Serra, Maria Basile Scarpetta, Giacinto Palmarini, Alessandra Pacifico Griffini, Paolo Cresta, Enzo Turrin, Carlo Sciaccaluga

Avec les comédiens diplômés de l’école du Teatro Stabile di Napoli Alessandro Balletta, Sara Guardascione, Annabella Marotta, Francesco Scolaro

Scénographie et costumes Marta Crisolini Malatesta
Lumière Gigi Saccomandi
Musique Ran Bagno
Installation vidéo Alessandro Papa
Chorégraphie Alessandro Panzavolta

 

Du 7 au 9 février 2019 à 20h

Dimanche 10 février 2019 à 16h

 

Athénée-Théâtre Louis Jouvet

Square de l’Opéra-Louis Jouvet

7 rue Boudreau

75009 Paris

 

Réservations 01 53 05 19 19

www.athénée-theatre.com

 

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