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« Schubladen » de She She Pop au théâtre des Abbesses, dans le cadre du festival d’Automne

Oct 16, 2014 | Commentaires fermés sur « Schubladen » de She She Pop au théâtre des Abbesses, dans le cadre du festival d’Automne

ƒƒƒ article d’Anna Grahm

 SheShePop_Schubladen_c_BKrieg_1961_01_6de7232c91© Benjamin Krieg

Il y a quelque chose en elles de Merkel.

Six femmes. Trois binômes face à face. Des tables sous de la lumière blanche et sur la rampe, des tiroirs à roulettes, bourrés de livres, cassettes et disques, posés au sol. Elles iront régulièrement puiser dans leurs trésors de jeunesse. A travers leurs récits autobiographiques, ces allemandes de l’est et de l’ouest tachent de comprendre ce qui les constitue. Mais de se comprendre, même en partageant la même langue, n’est pas gagné. Elles ne sont pas au bout de leurs questions. 40 ans de séparation, de rivalités, de concurrence à détricoter. Derrière le rideau de fer, terreur, mensonges et pénurie. De l’autre côté du mur, une insouciance, une certaine indifférence, la prospérité. Elles confrontent leurs expériences, ce qu’elles ont hérité. Leur enfance, leur éducation, leur éveil sexuel. Chacune a sur l’autre des tas de préjugés. Une forme d’arrogance ou de mépris. Comment s’atteindre quand les mots ne sont pas chargés des mêmes significations ? Les premières barrières entre elles ont été érigées dans le langage. Alors elles n’ont de cesse de s’interrompre. Stop. Que veut dire athée. Emancipation. Est-ce ingénieur ou ingénieure. Sans cesse des mises au point sont nécessaires pour dégager du sens des mots qu’elles emploient. Car, de part et d’autre, la propagande a encadré, façonné les esprits. Quelles libertés ? Celle de consommer ? Lait maternel ou biberons ? Elles ne sont pas tendres entre elles. « Je n’ai jamais rencontré de solidarité sororale » déclare l’une d’elles. Elles ouvrent cependant leurs tiroirs, livrent leurs journaux intimes, leurs cœurs, leurs courriers, leurs anciens manuels scolaires, retrouvent les injonctions maternelles. « On n’a rien sans rien » disait la mère de l’une des performeuses de l’ex RDA. Avoir un métier, être toujours zélée et compétitive s’interprète confusément pour les filles de RFA dont les mères ont dû s’arrêter de travailler pour les garder. Mise en abime des systèmes à travers les crèches, centralisées d’un côté, absentes ou trop peu nombreuses de l’autre. Mesure de l’amertume et un peu de la honte filmée en gros plan. Amertume quant au manque de reconnaissance des « colis » envoyés par l’Ouest, si dérisoires pour tous ceux qui les recevaient préalablement « inspectés ». Incompréhension des unes par rapport aux autres. Méfiance et moqueries de ce côté rustre de ces « communistes » qui ont toujours « besoin d’attention », même chose pour le côté fleur bleue et ventre mou de ces démocrates qui ont été « surprotégées ». Stop. Définir communisme, capitalisme. Bonjour l’humour quand le capitalisme est associé au Pôle emploi. Difficile de répondre objectivement quand la nostalgie s’en mêle, que l’on n’arrive pas à dire « adieu à un pays sans en être parti », quand on voudrait un paysage et des journaux « sans réclame » et que l’on a toujours appris à cacher ce que l’on pense. Celles qui ont longtemps dû se contenter de lire les chansons entre les lignes, ont des revendications et des pensées à tiroirs. Difficile d’entendre les arguments de celles « qui se croient artistes parce qu’elles n’ont aucune idée du travail ». Difficile pour nous de ne pas rire grinçant de ces fines escarmouches, de ces héritières de l’émancipation qui ne peuvent accepter ces dures à cuire qui leur donnent des conseils. C’est alcool fort contre champagne. Les petites princesses d’antan gavées de séries télé sirupeuses ont bien du mal à avaler cette mise à mal de ces travailleuses hommasses, qui ne connaissent ni la mode, ni l’épilation, ni la littérature. On échange quelques lectures autour de l’holocauste, un peu de grande musique et de pop.

Dans leur nouveau spectacle, SHE SHE POP, collectif berlinois féminin, questionne nos constructions sociales, sexuelles, notre rapport au pouvoir, ce vocabulaire que nous avons en partage. Et si la réunification les a rapprochées en une seule grande nation, si les fesses sur leurs chaises, elles dansent ensemble, roulent et tournent dans une magnifique chorégraphie, que dire de ce bilan acide qu’elles font. Car elles se sont finalement reprochées les mêmes choses, ont connu des souffrances différentes mais aussi des rêves identiques. Derrière ces guerrières, qui manient l’ironie sans jamais minauder, pointent des femmes déçues, qui n’arrivent pas à se situer dans une société qui n’est toujours pas à la hauteur de leurs idéaux.

Schubladen
Conception du collectif SHE SHE POP
En allemand surtitré en français
Aide à la dramaturgie Veronika Steininger
Décors Sandra Fox
Conçu & interprété par Sebastian Bark, Johanna Freiburg, Barbara Gronau, Annett Gröschner, Fanni Halmburger, Alexandra Lachmann, Katharina Lorenz, Lisa Lucassen, Mieke Matzke, Peggy Mädler, lia Papatheodorou, Wenke Seemann, Berit Stumpf, Nina Tecklenburg

Du 14 au 17 octobre 2014
Au théâtre des Abbesses
31, rue des Abbesses – 75018 Paris
réservation 01 42 74 22 77

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