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Schönheit ist Nebensache ou La Beauté s’avère accessoire, de Pol Pi, à Lafayette Anticipations, dans le cadre du Festival Echelle Humaine et du Festival d’Automne

Sep 20, 2022 | Commentaires fermés sur Schönheit ist Nebensache ou La Beauté s’avère accessoire, de Pol Pi, à Lafayette Anticipations, dans le cadre du Festival Echelle Humaine et du Festival d’Automne

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Pol Pi. D’emblée une dualité, un rebond d’une syllabe à l’autre. Et une énigme posée. Pol Pi est un artiste chorégraphe d’origine brésilienne et il vit en France depuis 2013. S’il exerce aujourd’hui dans les arts de la danse, s’il met en scène, il est aussi musicien. A lire sa biographie, à voir ce spectacle, on comprend qu’il touche à tout et traverse avec agilité les frontières érigées entre les disciplines, disloque les catégories. Schönheit ist Nebensache ou La Beauté s’avère accessoire se trouve ainsi littéralement au croisement de la danse et de la musique, Pol Pi entremêlant les cinq mouvements de la sonate opus 35 N°1 de Paul Hindemith aux cinq soli qui composent le cycle des Afectos humanos de la chorégraphe Dore Hoyer.

Se produisant entre deux pupitres qui se font face, Schönheit ist Nebensache ou La Beauté s’avère accessoire se déroulera comme un va et vient entre ces deux rivages, parcourra la musique de l’un pour rejoindre les mouvements de l’autre. La raison d’un tel métissage apparaît vite, évidente : au-delà de la contemporanéité de leur existence, au-delà des répercussions sur leur vie et leur œuvre de la montée des nazis en Allemagne, s’affirment une commune densité, une recherche concourante d’affects primordiaux, un semblable et puissant expressionnisme si l’on veut bien entendre à travers ce terme « l’expression d’un sentiment plutôt qu’un sentiment ». Une écriture du corps et une composition musicale qui vont directement à l’essentiel. Dans ce tramage qui fait toute la singularité du ramage de Schönheit ist Nebensache ou La Beauté s’avère accessoire, la musique de l’un s’écoute dans l’écho diffracté des mouvements de l’autre, la danse de Dore Hoyer se déploie dans l’espace tendu par les coups d’archet de la sonate de Paul Hindemith. Deux miroirs tendus l’un vers l’autre.

Ce va et vient est aussi le lieu et le temps d’une métamorphose : celle de Pol Pi, apparu dans un austère pyjama noir qui s’ouvrira et se repliera comme les ailes d’un papillon préparant sa mue, laissant découvrir au passage une peinture-tatouage, bleutée comme ces anciens polycopiés, marbrant son dos et sa poitrine d’une fine écriture de manuscrit retrouvé. Interrogeant les résonances entre l’époque révolue de ces deux artistes allemands et la montée de l’extrême droite et du fascisme au Brésil, questionnant son intérêt et sa passion obsédante pour cette partition musicale et ce cycle chorégraphique, Pol Pi répond de sa personne, s’engage tout entier. Et s’il faut parler d’incarnation, le terme semblant bien impropre pour évoquer le rapport de l’altiste-danseur aux œuvres de Paul Hindemith et de Dora Hoyer, c’est que Pol Pi offre bien plus que son corps nerveux et noueux comme un bois de gravure : il offre une conscience. Nette et vibrante. C’est électrique une conscience, bien plus que nos états d’âme passagers, cela crée un arc de tension entre une note et un geste.

Pol Pi débute son spectacle par de brèves notices biographiques concernant le compositeur (Paul Hindemith) et la chorégraphe (Dora Hoyer), puis il évoque, à la troisième personne, cet autre « Pol ». Cet autre lui-même qui vécut son enfance sous une autre identité. Pol Pi est transmasculin. Schönheit ist Nebensache ou La Beauté s’avère accessoire serait aussi le passage de ce il inaugural à ce je de circonstances, en jeu. Pol Pi s’avère être un passeur entre les époques (un passe-muraille comme Dorothée Munyaneza avec qui il partageait cette soirée), le messager que l’on attendait plus au point de jonction entre intime et politique, la sentinelle inextinguible et irréductible comme seul l’art sait l’être.