Critiques // Sans Titre (2014) de Xavier Leroy, Théâtre de la cité Internationale / Festival d’Automne à Paris

Sans Titre (2014) de Xavier Leroy, Théâtre de la cité Internationale / Festival d’Automne à Paris

Déc 11, 2014 | Commentaires fermés sur Sans Titre (2014) de Xavier Leroy, Théâtre de la cité Internationale / Festival d’Automne à Paris

ƒ article de Denis Sanglard

 g_TCI14XavierLeRoySansTitre03b© Jamie North/Kaldor Public Art Projects

Xavier Leroy expérimente la perte et plonge le spectateur attentif dans la perplexité. C’est une danse en négatif ou manque un élément qui finit par prendre toute la place. Le spectateur déstabilisé dans son rôle de spectateur doit combler les vides, les manques que Xavier Leroy ordonne sciemment comme une règle édictée. C’est une danse en quelque sorte évidée de façon partiale et partielle qui ne peut exister que dans cette acceptation de la disparition pour que celle-ci n’occulte ni la danse elle-même, ni le rapport entre la proposition chorégraphique et le spectateur. Un travail mémoriel entre l’oubli, le deuil et la métamorphose. Où le spectateur est en quelque sorte activé par une autre place qui lui est offerte.

Trois situations ou le chorégraphe se présente d’abord à nous, se déclarant amnésique, et nous demande de se souvenir des propositions précédentes au regard de cette nouvelle création, continuation en quelque sorte de ces propositions chorégraphiques antérieures. Le débat s’engage – difficilement il est vrai ce soir-là – où il est fait appel à l’expérience de chacun quant au travail de Xavier Leroy. Le spectateur est comme déjà engagé dans le processus chorégraphique à venir. Comme une clef possible de ce qui va suivre. La seconde proposition commence dans l’obscurité où plus que voir nous devinons. Trois corps, silhouettes découpées dans cette pénombre. L’un, comme en présence ne bouge pas. Les deux autres lentement commencent un étrange duo. Peu de visibilité. Bartók comme fond sonore. Les danseurs sont engoncés dans un vêtement qui ne laisse rien voir du corps. Rien qui ne fasse obstacle aux mouvements parfois imperceptibles. Rien qui ne donne prise. Neutralité absolue. Dans cette obscurité, force est de recomposer, à moins de laisser tomber, ce que nous peinons à voir. La lumière se fait peu à peu, de façon indicible et ce ballet troublant, fantomatique, prend un tout autre sens que celui que nous avions élaboré. Le danseur est seul, accompagné de deux mannequins. Dépouilles passives de danseurs auxquelles nous avions donné vie. Tout donc est à renégocier puisque la représentation que nous avions en tête est d’ores et déjà faussée et que la réalité du plateau offre soudain une nouvelle perspective. Le danseur et chorégraphe se réappropriant la représentation. Il nous faut donc faire en quelque sorte le deuil de notre participation pour se glisser de nouveau dans notre rôle initial de spectateur. Troisième partie, le concert. Xavier Leroy ressurgit et danse au son d’une musique que nous n’entendrons pas. Là encore nous devons palier à ce manque, tenter de faire sens à cette nouvelle proposition. Jusqu’à ce qu’un très long cri poussé balaye de nouveau toutes velléités, toutes tentatives de construction. Et nous réoriente vers d’autres chemins possibles. Le spectateur n’a de cesse de devoir négocier sa relation à l’objet proposé et les règles qui les régissent d’ordinaire. Pas si simple. Car on sent de la résistance. Difficile en effet de céder aux habitus, aux règles ancrées et implicites, au contrat particulier et normatif qui nous lie aux spectacles en général.

La proposition audacieuse et fragile de Xavier Leroy sème le doute et oblige en effet de faire l’effort de transgresser les règles établies. De se dépouiller en quelque sorte, voire se mettre à nu. Xavier Leroy ne propose rien moins que d’élargir, à défaut d’effacer, la relation scène/salle, de faire du spectateur à la fois le sujet et l’objet de la/sa représentation dans sa globalité. L’objet chorégraphique proposé étant négociable, plastique dans le sens d’une porosité entre l’intention du chorégraphe et son interprétation par le spectateur auquel il est offert et loisible d’agir voire de contrecarrer le projet. Ou de le refuser. C’est certes ambitieux et l’austérité de Xavier Leroy, du moins sa proposition, demande un effort certain. La danse devient ni plus ni moins un objet de pensée, un objet réflexif, dégagé de tout aspérité, qui ouvre de sacrées perspectives à qui accepte de se glisser dans ce nouveau rôle proposé. Même si pour quelques-uns de mes voisins de fauteuil ce n’était pas évident ; surpris, déstabilisés par la sécheresse, la rigueur et le minimalisme de cette danse atomisée.

Sans Titre (2014)
Concept et interprétation de Xavier Leroy
Réalisation des mannequins Coco Petitpierre
Organisation Vincent Cavaroc, Fanny Herserant – Illusion & Macadam

Du 8 au 13 décembre 2014 à 20h, jeudi 11 décembre 19h

Théâtre de la Cité Internationale
17, boulevard Jourdan – 75014 Paris
Réservations 01 43 13 50 50
www.theatredelacite.com

Festival d’automne à Paris
Réservations 01 53 45 17 17
www.festival-automne.com

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