© Virginie Meigné
ƒƒƒ Article de Garance
Salade, tomate, oignons – Portrait d’Amakoé de Souza c’est un triptyque mental, un labyrinthe psychologique qui démantèle cette trinité du « liberté, égalité, fraternité » en quelque chose de plus fédérateur et pourtant si quotidien, voir banal : le kébab et sa formulation « Salade, tomate, oignon ». du lieu même ou de l’ethnie, l’affiliation n’a pas d’importance. C’est ici que l’auteur, après une apparition, un regard accidentel avec une inconnue, s’interrogera sur la capacité de chacun à se reconnaître à travers la solitude de l’autre. La seule liberté présente, qui rassemble tout le monde, c’est bien la solitude et le désir de l’autre, de vivre à travers l’étranger. Pour ce faire et dépeindre au mieux cet isolement, Jean-Christophe Folly se retrouve seul en scène avec les différents personnages qui hantent son imagination et qui prendront à tour de rôle possession de son corps.
Chez Folly, à la manière d’une tragédie grecque, le destin est impitoyable. Le destin ne laisse pas d’espace. Ou alors juste de quoi s’immiscer entre. Se blottir au creux de. Mais une fois piégé à l’intérieur, écrasé, la seule solution est de vivre pleinement son drame. Le plateau est décharné de tout en prévision de cet effeuillage mental, comme préparé à recevoir n’importe quelle situation, n’importe quel lieu. Pour le début d’une romance, nous nous attendions à tout sauf à un kébab. Et pourtant cet endroit est lieu de passage, espace sauvage ou toutes les classes sociales se mélangent. Le lieu de l’ailleurs, du non-lieu. De l’autre, l’inconnu, les rencontres et autres heureuses connivences accidentelles. Se vider de tout, des fantômes de nos ancêtres qui nous rattachent malgré tout à une histoire qui nous échappe, qui, anachronique, nous piège entre deux temporalités, nous isole. Écorché de toute appartenance, seul avec le « parfum de l’horreur » et le « silence comme musique » il ne reste plus qu’à aller puiser chez l’autre, dans l’ailleurs. Pour s’arracher à se retranchement il faut avant tout libérer la parole. Laisser couler une parole obstruée, laisser aller un flot incontrôlable et voir ce qui en découle.
Sur scène, Jean-Christophe Folly subjugue, méduse, il bloque, aspire les regards. En vrai virtuose, il fait successivement se raidir les corps et décontracter les esprits. D’abord hésitant, timide, les mots ont du mal à sortir. Les mots crispés au bord de la bouche, flottent, s’évaporent finissent par se durcir et s’affirmer. Le comédien commence une logorrhée incontrôlée, les mots sont vomis en un flux fluide, ininterrompu. Le corps pris de spasme, subit avec plaisir cette évacuation. C’est ce qui arrive quand on donne la parole à ceux qui n’en ont pas, un dégorgement de tous les mots retenus durant des années. Ainsi le phrasé, ses accents, son rythme varie selon les personnages qui prennent contrôle du comédien. Deux personnages en un ou peut-être l’un qui a dévoré l’autre, ou encore la fusion de trois personnes. Les morphologies se confondent, se fondent en un être étrange, multiple, le travestissement est réussi. Toujours est-il que la fin, légèrement moralisatrice nous laisse sur une note sombre voir pessimiste à contrario de l’éventail humoristique déployé tout du long.
© Virginie Meigné
Salade, tomate, oignons – Portrait d’Amakoé de Souza, texte, conception et jeu de Jean-Christophe Folly
Collaboration artistique Emmanuelle Ramu
Création musicale Tatum Gallinesqui
Du 2 au 6 décembre 2019 à 20 h 30
Le Carreau du Temple
2 rue Perrée
75003 Paris
Réservations 01 83 75 55 70
www.lesplateauxsauvages.fr
www.billeterie.lesplateauxsauvages.fr
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