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Sacrificing While Lost in Salted Earth, chorégraphie de Hooman Sharif, au 104 / Festival les Singulier.es, avec Le Théâtre de la Ville

Jan 23, 2023 | Commentaires fermés sur Sacrificing While Lost in Salted Earth, chorégraphie de Hooman Sharif, au 104 / Festival les Singulier.es, avec Le Théâtre de la Ville

fff article de Denis Sanglard

Hooman Sharifi est chorégraphe et iranien. Ce qui a son importance et marque ici son oeuvre. Réfugié depuis l’âge de 14 ans en Norvège à la fin des années 80, approchant la danse par le Hip-Hop et le street-jazz, poursuivit par une formation en danse classique et moderne dans les années 90, il fonde en 2000 sa propre compagnie, L’impure Company, pour une conception très politique de la création artistique. Pour la première fois, il choisit de travailler uniquement avec des danseuses et danseurs iraniens en exil. La danse en Iran n’étant pas autorisée, condamnant à la peine capitale les danseurs, cette création autour du Sacre du printemps et particulièrement du sacrifice de l’élu, cette chorégraphie toute de tension affirme un acte de résistance. Il ne s’agit ici nullement d’héroïsme, ni d’acte de bravoure, mais de traduire comment chaque individu se sacrifiant pour la collectivité, comme autant d’acte de résistance quotidien et sans bravoure aucune, survit à ce même sacrifice.

Tout commence en silence où chacun à leur tour les interprètes exécutent un solo, interprétation toute personnelle de celui de l’élu. Ni grâce ni beauté, rien de formel, mais une énergie rageuse, impulsive et éruptive, n’exprimant rien d’autre qu’une formidable pulsion de vie. Entre abstraction et figuration, le corps se libère de toute affectation pour atteindre une vérité qui n’appartient à personne d’autre que celui qui danse et où ne subsistent et émergent seulement par effraction que quelques signes d’une culture commune au groupe. C’est une danse formidablement physique et concrète, les mouvements sont brutes, qui ne s’embarrassent pas d’un corpus académique où d’un répertoire quelconque. Puis au son du tanbur, un instrument à corde persan, qui donne son impulsion à l’ensemble, chacun reprend sa partition mais au sein du groupe cette fois réuni. Les solos s’agrègent alors les uns aux autres, empruntent et se répondent dans une circulation fluide et ininterrompue. Il ne semble y avoir aucune cohérence et pourtant, comme autant de técelles d’une mosaïque révélant son dessin progressivement, tout fait bientôt sens. C’est une oscillation continue entre l’individuel et le collectif dans une tension qui ne faiblit pas mais se nourrit de chacun. Hooman Sharifi ne cherche nullement à formater les danseurs, les plier ou les soumettre à une chorégraphie formelle. Il règne sur le plateau une formidable et grande liberté, et c’est cette liberté individuelle et frondeuse, non ébarbée, qu’il respecte en chorégraphiant sans la dénaturer la réponse de chaque danseur au thème proposé, le sacrifice. C’est l’expérience intime de chacun, son vécu, son identité qui est mis en exergue et confrontée au groupe dans un esprit de partage. Un groupe qui se construit nourri de ces différences et qui retrouve dans les rares instants où les danseurs se rejoignent, les échos lointains des danses collective traditionnelles iraniennes. Nous sommes indéniablement happés par ce qui traverse le plateau, où les corps en exil s’affranchissent d’un interdit et deviennent un formidable espace de liberté et de résistance. Une réponse cinglante et courageuse au regard de l’actualité sanglante iranienne. Le mot de sacrifice n’est pas vain qui prend ici tragiquement tout son sens.