© Benjamin Favrat
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Daniel Larrieu signe une chorégraphie pour Sophie Billion, Sacre. Une plongée en apnée dans une partition, Le sacre du printemps de Stravinsky, version pour piano à quatre mains, qu’il débarrasse de sa fable, le sacrifice, pour une ode vibrante et testamentaire sur la liberté absolue du mouvement, du geste, débarrassé de tout académisme dans une recherche personnelle toujours approfondie, tant ludique que mécanique, dans une dynamique de jeu, de contrastes, au dessin toujours précis. C’est une entrée dans la partition, au plus près d’icelle, quasi note à note, dans la même énergie, la même tension, devenue un espace de résonnance, d’impulsion et de mise en mouvement du corps devenu chambre d’écho d’un manifeste et d’une personnalité accordés. Se dessine alors un paysage chorégraphique singulier, entre tension et relâchement, changements de perspectives, d’une précision millimétrique sans défaut, un espace où se déploie l’imaginaire fougueux de Sophie Billion sans jamais déborder du cadre imposé par la structure musicale qu’elle empreinte, épouse et transpose. Une liberté toujours tenace dans la contrainte qui n’est pas le moindre et formidable des paradoxes. N’ayant pour tout accessoire qu’un large foulard, noué en cape ou posé comme un voile pour prolonger le mouvement, offrant et opposant à celui-ci une fluidité rebelle et aléatoire réhaussant par contraste la rigueur de la chorégraphie et de son dessin vétilleux. Cependant, comme un hommage facétieux, un discret palimpseste, aux mouvements de Sophie Billion se superposent quelques traces mémorielles et fantomatiques, on peut dire ça, dans une inflexions des mains, une position des pieds, un piétinement, un saut, de la version originelle du Sacre du printemps par Nijinski. On sait aussi la propension de Daniel Larrieu à emprunter aux fresques antiques certaines particularités, bras à l’équerre et mains tendues, cassure et angle droit, silhouette de profil, que l’on retrouve ici aussi et qui n’est pas sans rappeler justement les ballets russes de Diaghilev lors de la création du Sacre du printemps. C’est tout l’art aussi de Daniel Larrieu de se réapproprier et détourner les références pour les mener ailleurs, vers un champ personnel ne s’embarrassant de rien, affirmant ainsi, mine de rien, être dans la continuité, l’archéologie et la généalogie de la danse contemporaine, y apposant son empreinte, son sceau frondeur. Cependant que Daniel Larrieu et Sophie Billon, puisqu’il s’agit d’une vraie collaboration, prennent néanmoins à rebours la version attendue de ce Sacre du printemps, se débarrassant du rituel rebattu, voire attendu, pour une version plus intimiste, un espace intérieur où se dispute et se conjugue complexité et simplicité. Sophie Billon impose ici une vision toute personnelle qui est autant un autoportrait ludique, chorégraphié sur mesure où explose sa personnalité, sa singularité, qui peut se faire duel entre le féminin et le masculin – de l’importance aussi du foulard dans ce jeu de masque binaire – que l’exposition heureuse de sa relation complice et fructueuse avec Daniel Larrieu. Qui signe et conclut avec cette ultime et flamboyante chorégraphie, d’une toujours radicale modernité, sa propre relation et filiation avec l’histoire de la danse. S’il y a bien un Sacre ici, c’est le leur à tous deux.
© Benjamin Favrat
Sacre, chorégraphie de Daniel Larrieu
Avec Sophie Billon
Costumes : Mélina Faka
Musique : Le sacre du printemps, réduction pour piano à quatre mains ; Igor Stravinsky, musique enregsitrée, version des sœurs Bisjak (édition mirare)
Vu le 7 juin dans le cadre du Festival June Events
Toute la programmation, information et réservation : atelierdeparis.org / 01 417 417 07 / reservation@atelierdeparis.org
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