À l'affiche, Critiques // Ruy Blas, de Victor Hugo, mise en scène d’Yves Beaunesne, Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis

Ruy Blas, de Victor Hugo, mise en scène d’Yves Beaunesne, Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis

Fév 20, 2020 | Commentaires fermés sur Ruy Blas, de Victor Hugo, mise en scène d’Yves Beaunesne, Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis

 

© Guy Delahaye

 

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Devant la façade du château de Grignan l’heure est au drame espagnol. Ruy Blas de Victor Hugo, drame romantique mis en scène par Yves Beaunesne. Ruy Blas, ce « vers de terre amoureux d’une étoile », laquais épris de la reine d’Espagne, objet de la vengeance de l’infâme Don Salluste. Yves Beaunesne avec ce talent qu’on lui reconnaît s’empare de cette œuvre ô combien hugolissime : intrigue tortueuse, amours impossibles, vengeance machiavélique, personnages haut-en-couleur, vers sublimes et de mirlitons, oui parfois, embrassés en un seul souffle, larmes mêlées de sang et discours enragé contre des puissants, engagé envers les plus faibles. Un théâtre populaire dans son acceptation la plus noble, la plus belle. Sur ce plateau nu en pente douce, se penchant vers le public comme une invitation, accusant la théâtralité par sa machinerie à vue, apparition et disparition de cubes faisant office de sièges, soulignant la superbe façade du château où se meurt d’ennui la reine, le drame romantique, Victor Hugo le républicain est en majesté. C’est une mise en scène dépouillée certes mais non austère où le rire franc le dispute à l’émotion pure. Encore une fois, comme il le fit superbement avec Le Cid de Corneille, Yves Beaunesne allie modernité et tradition. Tire le drame romantique, pour éviter le mélo qui pointe, vers la comédie, sans rien retirer au drame qui sourd et bientôt éclate. Dépoussière Victor Hugo pour en faire apparaître sa modernité, sa troublante actualité sans jamais oublier la théâtralité de son sujet, sa popularité. Et ça claque magistralement ! Illustration de deux mondes qui s’entrechoquent, deux générations qui se défient. Et deux classes sociales irréconciliables avec pour étendard Ruy Blas, valet devenu premier ministre et dénonçant la corruption d’un pouvoir sans mérite autre que la naissance et n’enrichissant que lui-même. Si cela ne vous dit rien… Et cette figure étonnante, déclassée elle aussi, Don César (Jean-Christophe Quenon, remarquable et picaresque) devenu dans les bas-fonds où sa ruine l’a jeté Zafari, l’homme désormais libre de toute attache sociale. Entre le classicisme gangrené de Don Saluste, l’ancien monde perclus de privilèges, venimeux et glaçant Thierry Bosc marmoréen, et le génie sans couronne ivre de justice de Ruy Blas, François Deblock tout de ferveur et de fièvre, Yves Beaunesne joue des contrastes pour en toute subtilité accuser les gouffres qui les séparent. Et entre ces deux hommes, objet de haine pour l’un, d’amour pour l’autre, La reine d’Espagne. Loin, très loin de la figure hiératique attendue. C’est une jeune fille, une femme-enfant, qui se révélant brutalement à elle-même devant cet amour naissant, délaissant toute convention, pesante étiquette de la cour d’Espagne, s’abandonne à ce sentiment nouveau qui l’entraîne irrésistiblement vers Ruy Blas. À l’image de sa première apparition, triste infante sortie d’un tableau de Velázquez,  dans une robe d’apparat empesée et roide, carcan dont elle se libère, comme un papillon de sa chrysalide. Noémie Gantiet est stupéfiante, pas d’autre mot, qui fait de ce personnage écorché une figure aux sentiments exacerbés sous lesquels elle ploie plus qu’elle ne résiste. Cette reine-là est l’incarnation d’une adolescente contrainte avide de liberté, impétueuse, passionnée, imprévisible. Noémie Gantiet irradie dans sa robe couleur or. Et vous embrasse la partition de Victor Hugo qu’elle exhausse et ajoure étrangement, d’une façon qui n’appartient qu’à elle. Un jeu, une scansion heurtée par des émotions ignorées qui se bousculent, un corps pris d’élan irrépressible accusant son trouble, et qui sur ce plateau vide prend son élan et son envol, loin de toute étiquette ou retenue. Mise en scène donc au plus près des personnages dont il extrait les zones d’ombres et de lumière, le comique comme le tragique, comédiens dirigés au cordeau, l’énergie d’une troupe qui embarque avec un bonheur communicatif les spectateurs pris dans les rets de cette pièce où l’humour, on rit beaucoup, le dispute au drame qui advient. Yves Beaunesne a le sens de l’image, forte et jamais gratuite, − surprenant banquet des ministres où l’Espagne est dépecée par des animaux avides − et de l’espace qui libéré sur ce plan incliné permet une circulation des corps fluide et allègre, sans temps mort, ponctué seulement d’intermèdes musicaux, madrigaux espagnols comme autant de respiration bienvenue dans cette action qui va crescendo. Une belle réussite qui se mesure à l’aune de la mort de Don Salluste par Ruy Blas vivement applaudie par un public captivé. Le crime de paie pas. Mais l’intelligence d’une mise en scène, oui.

 

© Guy Delahaye

 

Ruy Blas, de Victor Hugo

Mise en scène d’Yves Beaunesne

Dramaturgie Marion Bernède

Scénographie Damien Caille-Perret

Création costumes Jean-Daniel Vuillermoz

Lumières Nathalie Perrier

Création musicale Camille Rocailleux

Maquillages, coiffures et masques Cécile Kretschmar

Assistanat à la mise en scène Pauline Buffet, Jean-Christophe Blondel et Laure Roldàn

Maître de chant Haïm Isaacs

Avec Thierry Bosc, François Deblock, Zacharie Ferron, Noémie Gantier, Guy Pion, Jean-Christophe Quenon, Maryne Sylf, Anne Lise-Binard et Elsa Guiet

 

Du 26 février au 15 mars 2020
Du lundi au samedi à 20 h, le dimanche à 15 h 30

 

 

Théâtre Gérard Philipe
59 boulevard Jules Guesde
93200 Saint Denis
réservations 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilipe.com

 

 

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