Critiques // Roméo et Juliette, mise en scène d’Eric Ruf à la Comédie-Française

Roméo et Juliette, mise en scène d’Eric Ruf à la Comédie-Française

Déc 16, 2015 | Commentaires fermés sur Roméo et Juliette, mise en scène d’Eric Ruf à la Comédie-Française

ƒ article d’Ulysse Di Gregorio

ROMEO ET JULIETTE -

© Vincent Pontet/Comédie-Française

Roméo et Juliette, une comédie ? Bien que la tension de l’œuvre de Shakespeare réside dans l’alternance de passages comiques et tragiques, la mise en scène d’Eric Ruf signe une comédie… Difficile alors de croire au suicide de Roméo qui ne porte pas à un seul moment de la pièce le poids tragique qui pèse sur son amour impossible. Seule Suliane Brahim en Juliette pleine de jeunesse et d’impatience parvient à communiquer au public la tension dramatique de l’œuvre, son jeu complexe lui permet de soutenir le tragique tout en apparaissant avec éclat dans les moments plus légers où l’insouciance est encore permise.

Ce contresens sur le texte est bien entendu souligné par l’absence de langue. Comment peut-on dire représenter Roméo et Juliette de Shakespeare si les comédiens réinventent le texte comme bon leur semble sur la traduction de François-Victor Hugo ? Non seulement cela appauvrit l’œuvre, mais les incohérences dramaturgiques sont toutes plus nombreuses les unes que les autres. Eric Ruf défend ce choix en prônant le primat de « l’histoire » sur le langage. Malheureusement, l’essence même de la pièce théâtrale (chez un Grand Auteur, cela va sans dire) n’est pas une « histoire » mais une langue à l’origine d’un monde. Si le public cherchait simplement à écouter une histoire, il lui suffirait d’ouvrir le journal à la page des faits divers.

Le choix du déplacement temporel dans « l’Italie pauvre de la vendetta » est intéressant mais un peu trop caricatural, en dehors de Mercutio interprété avec conviction par Pierre-Louis Calixte, on a du mal à y croire. La scénographie signée également par Eric Ruf présente des façades de maisons d’un blanc plâtreux, permettant ainsi un très beau jeu de lumière, notamment lors de la scène du bal chez les Capulet. La scène est ornée de lampions qui évoquent une chaude soirée d’été, et en son centre se dresse un podium où prend place un chanteur populaire italien qui anime le bal. A plusieurs reprises des scènes se déroulent dans des toilettes publiques, faisant émerger le côté populaire de l’œuvre de Shakespeare, en revanche on regrette que le procédé soit un « phénomène de mode » que l’on retrouve également à l’opéra… La scène du balcon, que tout le monde attend, produit un effet assez vertigineux : Juliette se retrouve sur un balcon sans garde-fou et tente un numéro d’équilibriste qui provoque chez le spectateur l’angoisse de voir la comédienne tomber de trois mètres de hauteur. Celle-ci est peut-être assurée, néanmoins il nous est impossible de le constater, et cela est particulièrement déconcertant car notre regard ne peut plus être concentré sur la situation dramatique.

Les costumes de Christian Lacroix sont particulièrement remarquables dans la scène du caveau des Capulet, où l’originalité du costumier s’allie avec un imaginaire folklorique puissant. Pour le reste de la pièce, les personnages sont vêtus avec goût et simplicité, et chaque costume accompagne l’univers du personnage et sa personnalité.

Cette nouvelle mise en scène de Roméo et Juliette donne lieu à une interprétation nouvelle de l’histoire, mais non de l’œuvre de Shakespeare puisque le texte n’y est pas respecté. Cela demande bien sûr un travail beaucoup plus long, mais que le public est en droit d’attendre d’une telle institution.

Roméo et Juliette
William Shakespeare, version scénique d’après la traduction de François-Victor Hugo
Mise en scène et scénographie Éric Ruf
Costumes Christian Lacroix
Lumière Bertrand Couderc
Travail chorégraphique Glysleïn Lefever
Arrangements musicaux Vincent Leterme
Son Jean-Luc Ristord
Collaborateur artistique Léonidas Strapatsakis
Maquillages Carole Anquetil
Assistante à la mise en scène Alison Hornus
Assistante à la scénographie Dominique Schmitt
et
Adrien Dupuis-Hepner (élève-metteur en scène)
Julie Camus (élève scénographe)
Sophie Grosjean (élève-costumière)

Avec Claude Mathieu, Michel Favory, Christian Blanc, Christian Gonon, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Pierre-Louis Calixte, Suliane Brahim, Nâzim Boudjenah, Jérémy Lopez, Danièle Lebrun, Elliot Janicot, Laurent Lafitte, Didier Sandre,
et les élèves comédiens Pénélope Avril, Vanessa Bile-Audouard, Théo Comby Lemaitre, Hugues Duchêne, Marianna Granci, Laurent Robert

Du 5 décembre 2015 au 30 mai 2016

La Comédie-Française
Salle Richelieu
Place Colette – 75001 Paris
Réservation 01 44 58 15 15
www.comedie-française.fr

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