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Roll, chorégraphie et conception de Marta Izquierdo Muñoz, au Carreau du Temple, Festival Jogging, Paris

Juil 02, 2024 | Commentaires fermés sur Roll, chorégraphie et conception de Marta Izquierdo Muñoz, au Carreau du Temple, Festival Jogging, Paris

© Michel Dieu

ƒƒ article de Denis Sanglard

Adolescente au sortir de franquisme, Marta Izquierdo Muñoz a trouvé dans la pratique du Roller, avant la danse, un souffle de liberté, celui-là même qui traversait la société espagnole, ce qu’on appelait alors « la movida » et qui traversait l’Espagne des couches populaires à l’avant-garde artistique. Pourtant rien n’était résolu. Le patriarcat sévissait encore, les inégalités sociales perduraient, la violence persistait. Pour Marta Izquierdo Muñoz le roller, la sensation de vitesse, donnait une impression, certes toute relative, d’émancipation et la promesse rêvée d’un autre monde. Et qui provoque aujourd’hui, au regard de notre sale actualité, un drôle de sentiment malaisant. Roll, en s’intéressant au Roller Derby, rejoint le questionnement qui taraude cette chorégraphe, ce qui fait communauté, solidarité et engagement. Après Imago-Go, autour de la figure des majorettes, puis Guérillères sur les combattantes de la guérilla, Roll interroge ce sport réapproprié par les femmes, débarrassé du male gaze dans lequel on les enfermait, devenu un enjeu féministe, luttant contre les discriminations sociales et de genre, influencé fortement par le DIY (do it yourself) et les mouvements LGBTQIA+.

Pas de compétition ici, mais une émulation. Marta Izquierdo Muñoz déplace cette pratique vers la danse, accentuant les mouvements inhérents de ce sport qui voit les corps se modifier pour atteindre un autre état sans rien retirer de ce qui profondément détermine le Roller Derby, une solidarité, une sororité, une bienveillance. Pas de violence ici, même simulée, rien d’offensif dans les contacts empreints de respect, voire de douceur… qui n’empêche nullement une énergie intense de tout instant. Une danse qui se joue des contraintes et de l’aléatoire, de l’équilibre et de l’ancrage au sol inexistant – on glisse –, de la vitesse, de l’absence de points d’appuis. Une danse au risque de la chute. Nous ne sommes pas très loin dès lors du patinage artistique, figure libre et exercice de style, mais dépouillé de toute afféterie, plus brut de coffre et bien plus engagé. Avec cette persistance volontaire à respecter la figure du cercle propre à la piste oblongue qui incite à la course, la poursuite. Cela donne un ballet étourdissant et souvent drôle, une douce folie poétique qu’un discours inquiet sur notre monde traverse et irrigue. Parfois même on (se) joue des figures imposées, promptement détournées comme des clichés persistants qui ne verraient en ce sport qu’une pratique viriliste. Une épique bataille de matelas remet tout ça à sa juste place.

Chausser ses rollers aujourd’hui pour Marta Izquierdo Muñoz n’a rien d’anodin, signe d’une résistance à recommencer qui voit la peste brune revenir avec morgue et force. La création de cette chorégraphie lors de cette semaine d’élection a été marquée par l’agression homophobe et raciste d’Ebène, danseur vu au Carreau du Temple dans Dioscures de Marta Izquierdo Muñoz lors du dernier festival Every Body et que nous avions ici même chroniqué…

Ils sont cinq sur la piste, cinq interprètes, quatre femmes et un homme, ayant une pratique et une maîtrise particulière du roller, chacun en leur domaine, ce qui influence naturellement cette chorégraphie dans l’appréhension du mouvement et de sa transmission. Et une comédienne inexpérimentée, Cécile Chatignoux, dans le rôle du speaker pour chauffer la salle, ce qu’elle fait très bien, voix de la chorégraphe aussi, dans son expérience d’une pratique exutoire et résiliente et la vision lucide d’un certain état du monde observé au prisme d’instagramme scrollé avec frénésie. Des incises poétiques et surréalistes et une séquence d’une belle délicatesse où fragile et gauche sur ses rollers, guidée et soutenue par une des interprètes, elle exprime à vif ce sentiment de liberté intense, absolue, procuré par cette sensation de glisse incomparable où le bonheur de la glisse est dans la glisse. Etonnante création, parfois un peu brouillonne, mais qui s’en plaindrait devant la sincérité d’un propos engagé et d’une inquiétude au présent pour qui a connu la dictature. Alors chausser ses patins à roulettes n’est pas ici anodin, revenir à l’essence politique du Roller Derby actuel non plus, même chorégraphié avec talent, c’est refuser encore une fois la réaction et le conservatisme qui revient, acter une résistance coriace devant un avenir taché de brun. Une création indispensable donc.

 

© Michel Dieu

Roll, chorégraphie et conception de Marta Izquierdo Muñoz

Assistant à la chorégraphie : Eric Martin

Conseil à la dramaturgie : Youness Anzane

Avec : Cécile Chatignoux (la Speaker), Amandine Etelage ( aka Mandy’Bull), Mary-Isabelle Laroche (aka Pink Bull), Eric Martin ( aka Dirty Bambi), Barbara Papamiltadiou (aka Barb’ra Strassante)

Création son : Benoist Bouvot

Création lumière : Anthony Merlaud

Costume : Elise Le Du

 

Vu le 29 juin au Carreau du Temple / Festival Jogging

 

Le Carreau du Temple

2 rue Perrée

75003 Paris

www.lecarreaudutemple.eu

 

Tournée : 26/02/25 Les ateliers des Capucins, à l’invitation du Quartz ( Brest), festival DansFabrik

 

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