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Rien ne s’oppose à la nuit – fragments, d’après Delphine de Vigan, adaptation Delphine de Vigan et Elsa Lepoivre, mise en scène Fabien Gorgeart, Studio de la Comédie Française, Galerie du Carrousel du Louvre

Sep 27, 2022 | Commentaires fermés sur Rien ne s’oppose à la nuit – fragments, d’après Delphine de Vigan, adaptation Delphine de Vigan et Elsa Lepoivre, mise en scène Fabien Gorgeart, Studio de la Comédie Française, Galerie du Carrousel du Louvre

 

 

© Brigitte Enguérand

 

ƒƒƒ Article de Sylvie Boursier

Rien ne s’oppose à la nuit – fragments 

Au bout de sa table de travail, une femme lit à haute voix un texte sur son ordinateur d’une voix détimbrée. On comprend qu’il s’agit d’un écrivain qui teste la fluidité de sa prose. Elle hésite parfois, soupire profondément, réfléchit, reprend, on a l’impression de lire à livre ouvert dans son espace mental. Brusquement, la rage l’emporte, elle se lève et s’adresse au public « je me suis arrêtée là […] cela ne fonctionnait pas, ce n’était pas ça, cela n’avait rien à voir avec ce que je voulais, imaginais, j’avais perdu l’élan. » Dès lors nous sommes avec elle, Elsa Lepoivre est Delphine de Vigan aux prises avec un texte qui, elle le sait, fera l’effet d’une bombe, mais qu’elle ne peut tenir à distance.

Dans le roman la narratrice raconte la vie de sa mère, Lucile. Grâce à ses souvenirs d’enfance, à l’aide de ses frères et sœurs qu’elle interroge et enregistre, aux documents des archives familiales et aussi grâce aux notes de sa propre mère, la romancière rejoue la pièce qu’a été la vie de Lucile. Car il ne s’agit nullement d’une biographie mais d’une fiction avec des scènes, de vrais personnages, un enchaînement tragique qui mènera Lucile au suicide à l’âge de 60 ans. Les évènements et les drames de cette famille sont eux bel et bien exacts, plusieurs enfants morts prématurément dont deux par suicide et l’inceste commis par Georges, le père de Lucile sur sa fille chérie.

La comédienne et la romancière ont adapté le texte initial en centrant le spectacle sur l’enfance et l’adolescence de cette femme. L’actrice va progressivement nous présenter les différents membres de la fratrie, échanger avec eux, les faire interagir. Le plan de travail de l’écrivain devient table dressée pour un repas de famille. « Elsa-Delphine » souligne par la précision de la main, d’un bras qui se tend, les mots, les phrases importantes qui pourraient expliquer les situations. Les projecteurs la suivent sur le plateau, comme un trait de crayon sur le papier appuie une ligne essentielle. On la voit avancer avec prudence dans les échanges avec ses sœurs, respectant leur douleur refoulée depuis si longtemps et le rire salvateur survient comme par inadvertance. La table de famille devient table dressée pour une conférence de presse, la narratrice s’adresse à nous d’une voix claire.

Il faut beaucoup de doigté, de métier, pour aborder ce rôle, ne pas le surcharger, rester simple, faire preuve de délicatesse. Elsa Lepoivre est tout cela, d’une précision sans faille en même temps que vulnérable devant un tel matériel. Fabien Gorgeart qui signe la mise en scène a cette faculté de créer des îlots, des écrins d’écoute et d’intimité entre les vivants et les morts avec cette lumière à la Soulages qui progressivement s’oppose à la nuit.

Cette fresque familiale fait écho aux multiples transmissions dont les femmes sont porteuses, qui détruisent ou construisent leur rapport à la féminité, à l’amour, à la maternité, aux phrases qui tuent, aux silences assassins. Selon l’adage latin « Mulierem silentium ornat », le silence orne la femme, variante de l’injonction « sois belle et tais-toi ». Lucile enfant était si belle, fascinante par son silence, son absence au monde, elle semblait tout encaisser ; plus tard elle rédigea des notes qui n’ont jamais été publiées. Socrate dit « parle pour que je te voie » ce qu’a fait sa fille, écrivain reconnu. Elsa, dépositaire du texte de Delphine, nous fait ressentir le corps à corps avec les mots écrits ou dits, le vertige, le doute qui vous submerge quand ce n’est pas l’émotion. Le seul en scène du plateau fait écho à la solitude de l’écrivain. Christophe Honoré avait lui aussi recousu sur scène les bouts d’une famille unie envers et contre tout malgré les tragédies successives dans le Ciel de Nantes.

La chambre des machines de l’écrivain a-t-elle à voir avec la cuisine du comédien ? Par quelle alchimie les histoires vraies deviennent elles fictions ? Pourquoi se raconte-t-on différemment selon l’interlocuteur ? Passionnant spectacle qui prend pour sujet sa propre genèse !

Au Studio de la Comédie Française, une comédienne vous attend et vous accueille dans son intimité, elle apparaît dans ce noir du peintre cité en exergue du plateau et se glisse progressivement vers cette lumière irisée de mille reflets toujours changeants selon la position de l’observateur et la qualité du jour, l’outrenoir : « Un jour je peignais, le noir avait envahi toute la surface de la toile, sans formes, sans contrastes, sans transparences. Dans cet extrême j’ai vu en quelque sorte la négation du noir […] du sombre émanait une lumière picturale dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon désir de peindre. Mon instrument n’était plus le noir, mais cette lumière secrète venue du noir. »

Soyez au rendez-vous de ce moment unique de théâtre !

 

© Brigitte Enguérand

 

 

Rien ne s’oppose à la nuit – fragments, d’après Delphine de Vigan

Mise en scène : Fabien Gorgeart

Adaptation : Delphine de Vigan et Elsa Lepoivre

Dramaturgie : Agathe Peyrard

Scénographie : Thomas Veyssière

Costumes : Céline Brelaud

Lumières : Thomas Veyssière et Henri Coueignoux

Collaboration artistique : Aurélie Barrin

Avec : Elsa Lepoivre

 

Durée : 1 h 20  

Du 22 septembre au 06 novembre 2022 à 18 h 30

Relâches les lundi et mardi du 26 au 30 octobre

 

 

 

Studio de la Comédie-Française

Galerie du Carrousel du Louvre

99 rue de Rivoli

75001 Paris

Réservation 01 44 58 15 15

www.comedie-francaise.fr

 

 

 

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