ff article de Denis Sanglard
Réapprendre le langage, retrouver la mémoire, appréhender de nouveau l’espace de la représentation qu’une balle de sniper vous fracassant le crâne a effacé.
L’histoire de Yasser Mroué, frère de Rabih Mroué, ce pourrait être aussi en filigrane l’histoire du Liban. Sauf que c’est un peu plus complexe que cela. Yasser nous conte son apprentissage qui a suivi le drame. Et la question se pose : qu’est-ce que la réalité, qu’est-ce que la fiction. Faire de la réalité une fiction ou de la fiction une réalité est d’autant plus crucial que le traumatisme de Yasser Mroué abolissait toute frontière entre les deux. Il a fallu apprendre à dissocier les deux. Désormais, distinction faite, la représentation –cette performance- paradoxalement met à distance cette réalité et en fait en quelque sorte une fiction. Le tragique, le drame de Yasser Mroué, est évacué pour une réflexion sans doute plus distancié et rationnelle. L’apprentissage de la langue, sa réappropriation participe de cette résilience et permet à Yasser de redéfinir l’homme qu’il était, avec des zones d’ombre désormais, mais également le contexte du drame. Nous ne sommes plus dans le passionnel, l’émotionnel mais la pensée. Qu’est-ce que la guerre ? Question posée qui évacue tout jugement, toute réponse passionnelle. A ce titre significatif est le trajet de Yasser Mroué qui le mène de nouveau dans la rue où sévissait le sniper qui le visât, jusqu’ â l’endroit même où celui-çi se planquait pour tirer. Cela participe à la fois du processus de réappropriation de son histoire mais également de l’histoire de cette guerre. Le plan qui voit l’objectif de la caméra devenir l’œil du sniper et balayer toute la rue est à ce titre significatif. Ce n’est pas que Yasser la victime mais un pays en son entier livré à la guerre civile.
Toute la construction de la performance est ainsi faite. Yasser entre textes ou chansons passe de courts films vidéo qu’il commente ou pas. Parcelles d’un passé familial et parcelles de vies captées, d’évènements parfois anodins en apparence –seulement en apparence-, quand le langage faisait encore défaut, était vide de sa substance représentative et symbolique. Ces vidéos sont autant d’étapes dans la construction mais surtout autant d’aide-mémoire qui participe de la reconstruction de soi. La mise à distance qui s’opère naturellement n’empêche pas cela d’être parfois drôle, permet même cet humour pince-sans-rire. Mais en même temps pour celui qui a perdu la mémoire le doute nait aussi de ces images. Elles sont certes l’expression d’une réalité mais quand celle-ci ne veut encore rien dire, quand la représentation symbolique manque, doit-on faire foi de ce que l’on voit ? Cela n’est-il pas fiction ? Où tout n’est-il que fiction ? La question est d’emblée posée dès le début de cette conférence performative. Rabih Mroué s’empare de l’histoire de son frère pour questionner aussi le rapport à l’image et au langage. Qu’est-ce que l’image sans langage ? Ce que démontre dramatiquement l’aphasie de Yasser Mroué se résume sans doute à ce que dit son frère Rabih: « Les mots appartiennent à l’espace de la représentation, donc à celui de l’humanité. » Les films projetés, commentés désormais, sont comme autant d’étapes qui voient Yasser Mroué se réapproprier sa vie et de nouveau faire partie de cette humanité. C’est justement sans doute ce qui le conduit de nouveau dans la rue qui le vit tomber. Et être debout…
Riding on a cloud
Texte et mise en scène de Rabih Mroué
Assistants à la mise en scène Sarmad Louis, Petra Serhal
Avec Yasser Mroué
Traduction Ziad Nawfal
Théâtre de la Cité Internationale
17 bd Jourdan
75014 Paris
Du 6 au 11 octobre à 20h
Réservations 01 43 13 50 50
www.theatredelacite.com
Tournée du spectacle:
CDN Théâtre de Sartrouville le 21 Novembre
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris :
Théâtre de la Bastille
Du 14 au 18 octobre 2014
Rabih Mroué : Trilogy
On three posters le 14 à 19h30
The Inhabitants of image le 15 à 19h30
Pixelated Révolution le 16 à 19h30
Trilogy, intégrale des trois spectacles, le 18 octobre à 18h
Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com
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