© Geraldine Aresteanu
ff article de Denis Sanglard
Richard II n’est pas une tragédie de la vengeance où peut être pas comme on pourrait l’entendre. Rien de spectaculaire. C’est une méditation sur l’exercice du pouvoir, de sa légitimité, de son éthique. De Richard qui la tient de Dieu ou du peuple dont se revendique Bolingbroke, la question et ses enjeux sont au centre de cette œuvre où la violence est toujours en retrait, aux aguets et répressible. Jusqu’où aller, quelles compromissions, quelles trahisons, quelles corruptions pour assoir son pouvoir ou le prendre ? La situation du royaume d’Angleterre, la crise de régime et de son autorité qu’il traverse est tout entière résumée par le vieux duc de Gand, l’impressionnant et magistral Thierry Bosc, dans son face à face avec Richard. Ce long monologue brisé de la première scène de l’acte II contient toute la pièce et le devenir d’un roi dont le royaume lui est un habit trop grand, le pays bientôt « son lit de mort ».
La mise en scène de Christophe Rauck est austère, rêche et se refuse au spectaculaire. Une ligne claire, une rigueur absolue, nulle scorie, comme nécessaire à l’écoute de cette fresque politique qui pendule entre l’épique et l’intime où la réflexion importe plus que l’action elle-même. Cette dernière n’étant que l’aboutissement de la première. Il n’y a rien ici qui ne soit avant tout réflexif. Et tout nous parvient dans la plus grande clarté qu’une scénographie épurée où l’obscurité domine et concentre notre attention, faisant surgir de l’ombre ou les y rejetant les personnages. (Soulignons la traduction de Jean-Michel Desprat qui de la langue de Shakespeare souligne la concrétude et offre une lecture immédiate). Christophe Rauck attache une importance extrême à ce roi démissionnaire, roi et bouffon tout à la fois dans la dénonciation lucide et mélancolique de cette situation, cette comédie qui le voit être dépossédé de sa couronne à laquelle, prémonition, il avait déjà et paradoxalement renoncé par la pratique singulière et l’usage abusif de son pouvoir. Micha Lescot impressionne dans cette incarnation quelque peu surréaliste, inattendue, mais par cette conception originale même, d’une vérité tangible et poignante.
Il est ce roseau pensant dont parle Pascal, que sa charge écrase et que sa destitution libère. Plus légitime enfin par son rachat et par sa fin. Parlons de ce corps, celui de Micha Lescot, singulier ludion incongrument vêtu de blanc, toujours prêt à trébucher, au bord de la rupture, du vertige. On ne peut oublier cette image stupéfiante de ce roi marchant à quatre patte vers son procès et sa destitution. Micha Lescot se refuse à l’expansion dramatique shakespearienne que seul son corps délié dénonce. Bouleversant d’intériorité, d’introspection comme si tout n’était qu’un songe halluciné et qu’il traversait cette tragédie en solitaire, en somnambule. L’impression qu’il se détache de tout, se dépouille de sa représentation royale, se met à nu, au fur et à mesure qu’avance l’histoire vers sa résolution dramatique. C’est flagrant jusque dans les scènes collectives qui le voient comme arraché de ce cauchemar pour tomber brutalement dans une réalité à laquelle plus rien ne semble le tenir sinon son statut royal menacé et le temps compté qui lui reste. Face à lui, Éric Challier, Bolingbroke, est tout d’une pièce, tel un bloc minéral. Éric Challier, qui en impose, intelligemment ne l’inscrit pas dans la vengeance outrancière mais à raison dans la revendication raisonnée de son droit, ses terres usurpées et la fin de son exil, et d’une légitimité qu’il tire d’un peuple en colère. Il nuance ainsi son personnage pour en faire apparaître à juste titre l’animal politique qui ne répondrait opportunément qu’à une crise de régime dont lui-même fut la victime. Une opposition à Richard qui s’inscrit aussi dans le corps, entre celui massif de Bolingbroke, concret, et celui à la limite de l’abstraction de Richard. Comme si leur notion réciproque du pouvoir s’inscrivait également dans le corps. Autour de ces deux-là, une troupe homogène, dirigée au plus près, dont Cécile Garcia Fogel, la reine. Ses apparitions sont au sein de cette tragédie à la violence feutrée des instants suspendus d’une singulière poésie teintée de douleur assourdie. Richard II n’étant pas la seule victime dans cette affaire…
© Geraldine Aresteanu
Richard II, de William Shakespeare
Traduction de Jean-Michel Desprats
Mise en scène de Christophe Rauck
Avec Louis Albertosi, Thierry Bosc, Éric Challier, Murielle Colvez, Cécile Garcia Fogel, Joaquim Fossi, pierre-Thomas Jourdan, Guillaume Levêque, Micha Lescot, Emmanuel Noblet, Pierre Henri Puente
Dramaturgie : Lucas Samain
Vidéo : Etienne Guiol
Lumière : Olivier Oudiou
Costumes : Coralie Sanvoisin
Musique : Sylvain Jacques
Maquillage et coiffures : Cécile Kretschmar
Masques : Atelier 69
Jusqu’au 22 décembre 2023
A 19h30, le samedi à 18h, dimanche à 15h
Durée 3h05 entracte compris
Théâtre Nanterre-Amandiers
7 avenue Pablo Picasso
92022 Nanterre
Réservations : 01 46 14 70 00
comment closed