ƒ article d’Anna Grahm
Au commencement un homme et une femme. Adam et Eve dans la lumière de la modernité. Tous deux prêts à se battre pour leur avenir. Sera-t-il commun, sera-t-il meilleur, ce qu’on laisse derrière est-ce que ça repousse.
La mise en scène de Laurent Fréchuret prend soin d’esquisser les espaces, d’un côté le grand fauteuil moelleux pour le maître des lieux, de l’autre, une petite chaise à l’assise inconfortable, pour la visiteuse. Il trace les grandes lignes de failles, laisse flotter au milieu du plateau une frontière invisible, codifie le face à face, installe chacun dans son rôle social et sexuel, lui, l’enquêteur, l’examinateur impassible, debout, dans son costume bleu qui la surplombe et elle, assise, presque humble, ravissante dans son tailleur rose, qui l’observe attentivement.
Elle a besoin d’un travail, il a besoin d’une collaboratrice. Il craint l’espionnage industriel, elle craint l’intrusion de sa vie privée. Ils se scrutent et se contrôlent comme dans un miroir. Il a à cœur de faire le bon choix, elle tient coûte que coûte à être choisie.
Dès le début, il y a une alchimie entre eux, cette façon qu’il a de la regarder, si insistante, qui dans une certaine mesure la contraint à se montrer à la hauteur. En même temps se dégage de lui, une défiance et émane d’elle, des zones d’ombres qu’elle tente désespérément de cacher. Il poursuit sa stratégie, se fait plus insidieux, la grignote, la pousse dans ses retranchements mais elle s’entête, lutte d’égal à égal, s’engage dans la rivalité, elle n’a décidément pas froid aux yeux.
Les deux combattants sont habiles, leur jeu subtil est un art de l’esquive tout en finesse, ils se découvrent, se surprennent, ils se rapprochent, s’appliquent, s’impliquent, s’expliquent. L’envie qu’elle a de lui plaire le séduit, il est fasciné par celle qui se débat sous le feu des questions, qui répond au cordeau. Aussi, il ne résiste pas au plaisir que lui confère son pouvoir de manager, et la re-convoque encore et encore. Mais celui qui prend un malin plaisir à jouer au chat et à la souris, qui avait cru que la multiplication des rencontres aurait pu générer des rapprochements, se retrouve vite en mauvaise posture. Parce qu’elle tente à tout prix de lui convenir et entre dans la sphère intime, parce qu’il conduit l’entretien comme une danse, qu’il l’envisage à ses côtés, elle se fait plus offensive.
Et alors qu’il se livre sans protection, elle se défend pied à pied, devient plus frontale, plus incisive. Alors même qu’il l’entraîne sur le terrain de la réciprocité, elle reprend ses distances et botte en touche.
Car derrière elle, en fond de scène, un vieux souvenir remonte, un autre homme que lui, joué par le même acteur, l’a déjà déçue, l’a déjà fuie. C’est à ce vaincu qu’elle se confronte, c’est pour dépasser cette blessure, qu’elle s’affronte à lui. Sa colère est feutrée, inquiétante, elle monte au créneau, et c’est tremblante mais sûre qu’elle le désarme.
Etrange combat que ce duel entre deux êtres qui se ressemblent tant, qui s’ouvrent l’un à l’autre et se ferment à de nouveaux sentiments. Etrange rencontre de deux êtres qui se jaugent, qui se nourrissent de leurs faiblesses, qui forts de leurs défaites respectives, s’adressent au public pour le convoquer à son tour à être le médiateur de ce chassé croisé. Etrange histoire où on quand on se voit on se trouve petit, où l’on rêve que la liberté que l’on poursuit devienne un jour réalité.
Revenez demain
Texte Blandine Costaz
Mise en scène Laurent Fréchuret
Scénographie Rudy Saboungui
Assistantes mise en scène Sandra Choquet et Flore Simon
Avec Marianne Basler et Gilles Cohen
Du 27 janvier au 21 février 2016
à 21 h
dimanche à 15h 30
relâche les lundi et le 2 février
Théâtre du Rond Point
2 bis avenue Franklin Roosevelt – 75008 Paris
réservation 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr
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