À l'affiche // Retour sur la Semaine Extra, NEST, Thionville

Retour sur la Semaine Extra, NEST, Thionville

Avr 18, 2018 | Commentaires fermés sur Retour sur la Semaine Extra, NEST, Thionville

Les Imposteurs  © Eric Chenal

Pour la quatrième année consécutive, la « semaine extra », festival du NEST à destination du public adolescent, a pris ses quartiers de printemps sur les rives de la Moselle. En l’espace de six jours, le festival propose des conférences sur les métiers techniques du théâtre, des restitutions des ateliers d’écriture et des projets théâtraux menés dans des lycées tout au long de l’année (par exemple, un travail sur L’Homme libre de Fabrice Melquiot présenté par une dizaine de jeunes garçons, élèves de seconde pro du lycée Cormontaigne de Metz, malhabiles ou prometteurs, assurément courageux et terriblement émouvants). Des « passeurs » à peine plus âgés que le cœur de cible assurent avec enthousiasme la transmission de l’amour du spectacle vivant, dans différents lieux – le théâtre municipal, le théâtre en bois, la Scala, ou les lycées eux-mêmes dans des formules « hors les murs ». Se jouent également, avant le bal final, sept pièces sur, cette année, le thème assurément porteur de l’appartenance.

 

Price © Jean-Louis Fernandez

ƒƒ Price de Steve Tesich

Vu au Théâtre Municipal lors d’une tumultueuse séance scolaire, Price, ainsi, retrace le passage de l’adolescence à l’âge adulte de Daniel. Daniel est un Américain moyen, qui a grandi à East Chicago un trou perdu, près d’une raffinerie. Au début de la pièce, il quitte le lycée, flanqué de ses deux potes. S’envolent ses rêves de devenir un espoir du sport et d’aller à la fac avec une bourse. Que faire de sa vie ? Ce n’est pas le conférencier disrupteur façon start-up born in the USA qui va les aider à faire des choix. Mais il y a la belle Rachel. Cette première fois avec elle. Et puis le père, qui a un cancer, et qui peu à peu se mue de père aimant en agonisant acariâtre, tandis que la mère, Serbe, renoue avec ses racines. Mais Rachel n’est pas Juliette. Elle n’aime Daniel que triste, et elle aime un peu trop David. Les deux potes d’antan vrillent aussi, un peu. A la fin Daniel part – on the road, comme Kerouac ; Il faut toujours partir, une fois le père tué.

On voit ce que le spectacle a de séduisant pour un public « ado ». Rodolphe Dana, qui joue également dans la pièce, utilise une scénographie astucieuse, qui demeure la même de scène en scène, mais permet des changements abrupts d’une grande fluidité. Tandis que ses acteurs murmurent un texte parfois bavard et lyrique, sans doute dense et difficile par instants (le texte est adapté d’un roman), il choisit d’aérer le propos par des passages presque cinématographiques, chorégraphiés avec une grande précision. On se laisse prendre à la douce musique Folk’n rock de la ballade de Daniel, nouveau James Dean, qui doit sans doute beaucoup à son auteur, Steve Tesich

Evidemment, pour la salle « jeune », il est difficile de rester attentif devant certaines scènes – enlever une chemise, contrefaire l’amour, sur scène, devant un public ado, relève de la gageure – mais en même temps, on en a connu, des publics blasés et compassés…

Price de Steve Tesich
Création collective  dirigée par Rodolphe Dana
Traduction  Jeanine Hérisson
Adaptation/dramaturgie  Rodolphe Dana et Nadir Legrand
Scénographie/costumes  Katrijn Baeten et Saskia Louwaard
Lumières  Valérie Sigward
Création  son Jefferson Lembeye

Avec  Simon Bakhouche, Grégoire Baujat, Inès Cassigneul, Rodolphe Dana, Françoise Gazio, Antoine Kahan et Lionel Lingelser

Durée  2h

 

Jours radieux  © Alice Piemme

 

ƒƒƒ Jours radieux de Jean-Marie Piemme

Choix courageux, dans un autre registre, que ceux de Jean Boillot, directeur du NEST et du festival, qui, après une pièce sur la traque de Ben Laden et les suites du 11 septembre, que nous n’avons pu voir (A House in Asia de la compagnie Agrupación Señor Serrano), programme Jours radieux de Jean-Marie Piemme, variation acerbe sur la montée du fascisme en Europe. Une famille nucléaire, primipare et suburbaine, composée de Blond, de sa femme Blonde et leur fille Blondinette, coulent des jours heureux entre leur robot-aspirateur, leur coin de gazon et leur jolie voiture, ingurgitant dans la joie et le cholestérol des saucissons, des andouillettes, des oreilles et des pieds de porc. Mais soudain l’apocalypse se profile : l’invasion, là, au coin de la rue auparavant si tranquille. Les indices concordent : le restaurant qui ne sert plus que du mouton. De l’arabe, oui, il faut bien le dire, qui résonne désormais dans les rues. Voilà Blonde toute contaminée de l’intérieur, qui se met à parler cet étrange idiome d’étranger. Il faut réagir. Blondinette a la solution. Suivre le Chef, rejoindre son château.

Dans les années cinquante, Ionesco dénonçait la peste rouge en affublant ses héros de masques de rhinocéros. Au siècle suivant, l’animal-totem est le cochon, objet de l’anathème des uns et de l’idolâtrie des autres. Piemme présente sa pièce comme un conte, à la morale sans doute simpliste, mais rassérénante. Pour évoquer cette apocalypse ordinaire, Fabrice Schillaci fait confiance à un plateau tournant, à des effets de lumière léchés, à des musiques bien choisies (Vertigo), et surtout à un trio de comédiens qui incarnent à merveille la banalité du mal ou de la bêtise. On rit beaucoup – pour ne pas en pleurer. Même si tout cela se passe en Belgique, c’est à dire nulle part.

Jours radieux de Jean-Marie Piemme
Création  Compagnie Impakt
Conception et mise en scène  Fabrice Schillaci
Scénographie  Johanna et Johan Daenen
Costumes  Marie-Hélène Balau
Création lumières  Renaud Minet

Avec  Joëlle Franco, Élisabeth Karlik et Stéphane Vincent

Durée  1h15

 

 Longueur d’ondes © Jean-Marc Lobbé

ƒƒ Longueur d’ondes

Longueur d’ondes nous ramène en revanche vers un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : celui des mythiques 18 mois d’existence de « Lorraine cœur d’acier », radio « libre » qui, de Longwy, entre 1979 et 1980, a donné la parole aux ouvriers de la sidérurgie, mais aussi aux immigrés et aux femmes. Bérangère Vantusso et ses comédiens ont fondé leur travail sur les archives de la radio. Ils en ont isolé quelques passages saillants, qui sont soit diffusés sur le plateau, soit « redits » par deux comédiens, qui incarnent à eux seuls nombre de personnages. Sur le plateau, une régie qui fait office de studio de fortune, des micros à bonnettes, et surtout un grand panneau quadrillé. Le dispositif est inspiré du Kamishibaï japonais, où un conteur déroule une série de vignettes qui raconte l’histoire en images. Elles sont ici créées par Paul Cox. Théâtre documentaire et illustré, donc, Longueur d’ondes interroge la portée de cette radio révolutionnaire à maint égard, faisant le lien avec « Radio Debout » éphémère voix de la non moins éphémère Nuit Debout.

Longueur d’ondes
Mise en scène  Bérangère Vantusso
Mise en images  Paul Cox
Collaboration artistique  Guillaume Gilliet
Scénographie  Cerise Guyon
Lumières  Jean-Yves Courcoux

Avec  Hugues de la Salle, Marie-France Roland

Durée  1h

 

© Les Imposteurs ©  Eric Chenal

ƒƒ Les Imposteurs

Les Imposteurs, dernier spectacle que nous avons vu, a été créé par et pour la semaine Extra. Né dans une classe du lycée de Fameck, Les Imposteurs place autour d’un cercle une quarantaine de lycéens et deux acteurs. Les comédiens, Isabelle Ronayette et Régis Laroche, reviennent sur ce qui les a conduits à faire ce métier. Tout part d’une photo de classe, celle d’Isabelle. Comment la petite fille passionnée par le foot, dotée d’un physique moins facile que ses grandes sœurs, en vient-elle à pousser la porte d’un atelier théâtre ? Pour de mauvaises raisons, sans doute, qui se révéleront essentielles et vitales. Pourquoi Régis, un soir, alors en conflit tragique avec son père, en vient-il à oublier son rôle de Sigismond, dans La Vie est un songe, alors qu’il doit parler à son père de théâtre, le roi Basile ? Les anecdotes se succèdent, sans que l’on sache si elles sont vraies ou non. Le théâtre, la vie, le théâtre, jouer ou être – on aborde des questions essentielles, on parle même, de façon très pédagogique, de La Classe morte de Kantor. C’est un vrai cours de théâtre, au sens le plus noble du terme, qui laisse la place, dans les interstices, aux interventions des jeunes gens présents, timides ou audacieux, prêts à se lancer, ou au bord du refus, la parole aux lèvres, le théâtre à portée de main. Le spectacle n’est donc jamais figé, mais reste, précisément, « vivant », dépendant de la participation des spectateurs-acteurs. Parfaitement pensé pour le dispositif de la semaine Extra, le spectacle a sans doute peu de sens « ailleurs ». On objectera aussi que les « imposteurs » lancent une fausse piste : un acteur n’est pas un imposteur – sa victime est complice de son imposture, et exige qu’elle soit parfaite. Du syndrome d’imposture, que Jean Boillot aurait sans doute voulu traiter. C’est en effet le « vrai » fondement de la comédie sociale qu’est l’existence, en effet, mais il en est finalement peu question – laissons les adolescents penser que les adultes ne sont pas des imposteurs, en effet.

Les Imposteurs
Dramaturgie  Alexandre Koutchevsky
Mise en scène  Jean Boillot
Lumière  Emmanuel Nourdin

Avec  Isabelle Ronayette et Régis Laroche

Durée  1h20

Be Sociable, Share!

comment closed