article de : Corinne François-Denève
Depuis trois ans, à Thionville, la « Semaine Extra » est le point d’orgue d’actions culturelles de grande envergure, initiées par le NEST, Centre dramatique national transfrontalier dirigé par Jean Boillot. Si le point de départ du festival (le projet « Iroquois », atelier d’écriture transfrontalier) est pour l’instant en suspens, le principe de la semaine demeure : faire découvrir le théâtre à un public « ado », par le biais de spectacles dédiés (24 représentations en tout, en l’espace de cinq petits jours), mais aussi d’ateliers d’écriture, de pratique théâtrale, et la découverte des coulisses du spectacle vivant (principes de comm’, régie, photos, affiches…). Le théâtre se déplace parfois dans les salles de classe, et certains lycées consentent même à une exception culturelle notable – pendant la semaine « extra », ainsi, on change les sonneries qui indiquent le début et la fin des cours ! Egalement émaillée de « levers de rideau » qui proposent des cartes blanches à des ateliers ou option théâtre, la semaine se termine par un match d’impro, et peut se targuer de drainer dans les 2500 spectateurs, captifs ou non.
Le dispositif a ses atouts, et ses écueils. Mettre au point une programmation « jeune public » qui doit pouvoir s’insérer dans le temps scolaire (et son éthos) oblige à quelques accommodements parfois discutables.
Ainsi, le Blockbuster du Collectif belge Mensuel, présenté comme un spectacle hybride de « théâtre-cinéma » n’a que peu à voir avec le spectacle vivant. Il s’agit en effet de doubler, en direct, un film fictif, composé d’une myriade d’extraits tirés de « blockbusters ». On ne sait ce qu’on doit regarder, du film qui défile sur l’écran, ou de ce collectif qui, sur scène, s’échine à faire en direct toutes les voix et tous les bruitages. Les « blockbusters » débités en tranches ont été montés pour produire un film « alter » chantant maladroitement les mérites du vivre ensemble, de la culture et du théâtre. Si on s’amuse trois secondes de voir Erin (Brockovich) transformée en « Corinne Lagneau» (mais le Palmashow, les Inconnus, ou les Nuls, l’ont déjà fait), on s’exaspère vite de ce mélange entre un premier degré doucereux et un supposé second degré acide. En outre, est « blockbuster », pour ce spectacle, tout ce qui est américain – en vrac Rambo, James Bond, mais aussi Harvey Milk de Gus van Sant et V pour Vendetta, ce qui conduit à une sorte de salmigondis gênant et contestable intellectuellement. Et quid de ce spectacle supposément alter, qui dénonce le grand capital et l’exil fiscal (à la frontière du Luxembourg) mais qui a dû, et on l’espère, pour la déontologie du projet, payer des sommes considérables aux ayants-droits des films ? Il n’est pas exclu cependant d’avancer l’idée que l’on avait avalé ce soir-là de travers sa carte « Gold » du cinéma Art et Essai la Scala, et qu’on ait joué la cinéphile par trop chouineuse : le public fut enthousiaste, sortant à grands coups de « c’est swag » ou « c’était stylé ».
Taisez vous ou je tire © Luc Maréchaux
Au magnifique Théâtre en Bois, sis le long de la Moselle, la partition de Métie Navajo et Cécile Arthus, artiste associée à la jeunesse du NEST, avec Taisez-vous ou je tire, était également, mais pour d’autres raisons, fort piégeuse. Reprenant un fait divers tragique (la prise d’otage par une prof en burn-out de sa classe « difficile », cet anti-Esquive se joue majoritairement devant des élèves et leurs professeurs. A force de ne vouloir vexer personne, et de rendre hommage à tous (le corps enseignant en souffrance, le caïd en échec scolaire programmé, la réfugiée martyrisée en quête d’intégration…), l’autrice évite en effet le manichéisme, mais en éludant les problèmes à grand coup de tirades lyriques, et en renvoyant constamment dos à l’institution qui broie, la République injuste, les vies cabossées de tous les protagonistes. La pièce ne trouve sa respiration que lorsqu’elle reprend le texte de Don Juan, sur lequel travaillent les élèves, osant, enfin, presque, leur offrir une sortie magique et baroque. Elle devient enfin folle et audacieuse à chaque apparition d’une journaliste de plus en plus au bord de la crise de nerfs (magnifique Léonie Kerckeart). Taisez-vous ou je tire, enfin, doit sa valeur aux jeunes comédiens qui la portent, qu’ils soient professionnels (Hiba El Alflashi, Chloé Sarrat, Jackee Toto…) ou « ado-comédiens » sortis des classes de Thionville (ce soir-là Harouna Abou Ide, Kiara Ramazotti, Carla Thomas…)
Dans une salle de classe, il revient à la grâce fragile de Jeanne Favre de défendre un seul en scène difficile, conte sur la dictature brésilienne, Maintenant que je sais. « La dictature est quelque chose qui vous arrive ». En quadri-frontal, regardant droit dans les yeux son public lycéen, Jeanne Favre parle de la torture et de la violence, essayant d’éveiller par le théâtre ces jeunes consciences.
Millefeuille © Benoît Thibaut
Confronté au même exercice périlleux de théâtre en lycée, Jean-Baptiste André, avec Millefeuille, fait souffler un grand moment de poésie dans les classes où il intervient. Supposément venu parler de son expérience d’acrobate formé à l’Ecole du cirque de Châlons, il joue à merveille Le Cancre de Prévert, Pierrot lunaire au texte dense et beau, qui se met soudain à faire de l’équilibre sur les tables, au milieu des rangées, prêt à s’envoler par la fenêtre de la salle. Au milieu d’élèves perplexes ou enchantés, il évoque la discipline de son travail, la perpétuelle nage indienne du circassien qui un jour croit avoir trouvé, et le lendemain doit tout recommencer.
Kohlhaas © DR
Enfin, le Kohlhaas des Belges germanophones Claus Overkamp et Kurt Pothen abordait des rivages plus sûrs. Au sein du théâtre de Thionville, la troupe présentait un spectacle façon « théâtre ambulant », parfaitement calibré pour un jeune public, en dépit de la difficulté du texte. Masques blancs, moments musicaux, numéros de cirque, chamboule-tout interactif, le spectacle faisait aussi intervenir des ombres chinoises et des images qui faisaient penser au proto-cinéma d’animation d’Emile Cohl. Une fausse panne technique semblait priver les acteurs de lumière – ils allumaient des bougies, dans un retour voulu au théâtre de foire – las, nos ados connectés leur avaient déjà proposé l’aide des écrans de leurs portables –y’a plus de jeunesse, ma bonne dame, y’a plus que du jeune public.
Edifié sur le campement de base de la troupe de Jacques Kraemer, le théâtre à Thionville, ville de 43 000 habitants, frontalière, est sans doute un modèle à suivre. La « Semaine Extra » change sans doute la vie de nombre de lycéens, qui ne s’en rendent pas encore compte – on se souviendra, nous, des visages de Lucas (et du club Japon), d’Harouna, Kiara, Carla (notre future Sophie Marceau), et de tous les autres.
NEST
NORD EST THÉÂTRE
Centre Dramatique National
de Thionville-Lorraine
direction Jean Boillot
15 ROUTE DE MANOM,
BP 90146,
F57103 THIONVILLE CEDEXThéâtre en Bois 15, route de Manom, Thionville
Théâtre de Thionville (petite et grande salles) 30, boulevard Foch, Thionville
Billetterie : 33(0)3 82 82 14 92
http:// www.nest-theatre.fr/
La semaine extra : http://www.nest-theatre.fr/spectacles/semaine-extraBlockbuster
écriture : Nicolas Ancion – Collectif Mensuel
conception et mise en scène : Collectif Mensuel
vidéo et montage : Juliette Achard
assistanat : Edith Bertholet
scénographie : Claudine Maus
création éclairage et direction technique : Manu Deck
créateur sonore : Matthew Higuet
coach bruitage : Céline Bernard
régie vidéo : Dylan Schmit
avec : Sandrine Bergot, Quentin Halloy, Baptiste Isaia, Philippe Lecrenier, Renaud Riga
Création : Collectif MensuelProduction : cie pi 3,1415 Coproduction : théâtre de liège,théâtre national / Bruxelles. Avec l’aide de la fédération Wallonie-Bruxelles / service théâtre. En partenariat avec Arsenic2.Kohlhaas
Adaptation libre d’après Heinrich von Kleist, avec des poèmes de Erich Mühsam
Mise en scène : Claus Overkamp
Direction artistique : Kurt Pothenavec Roger Hilgers, Eno Krojanker, Annika Serong, Matthias Weiland, Marie-Joëlle Wolf
Création Agora Theater, le théâtre de la Communauté germanophone de la Belgique
en coproduction avec le Théâtre Marabu (Bonn-Allemagne), avec le soutien de :
Via 2018 Maastricht – Kandidaat Culturele Hoofdstad van Europa 2018,
du KULTURsekretariat NRW, de la ville de Bonn et du Land NRW.
Création décembre 2011 à St-Vith (en allemand) / en août 2012 au Festival de Huy (en français)Maintenant que je sais
Texte Catherine Verlaguet
mise en scène Olivier Letellier
assistanat Jérôme Fauvel, Cécile Mouvet
création sonore Arnaud Véron
création costumes Sarah Diehl
avec Jeanne Favrepartenaires Théâtre National de Chaillot, Le Strapontin, Pont-Scorff, Théâtre de Chevilly-Larue, Centre Jean Vilar Champigny-sur-Marne, Théâtre du Pays de Morlaix, Très Tôt Théâtre Quimper, Ville de Lorient
Le Théâtre du Phare est conventionné par la Drac Ile-de-France et soutenu au fonctionnement par le Conseil général du Val-de-MarneMillefeuille
texte Eddy Pallaro
conception, interprétation Jean-Baptiste André
collaboration artistique Mélanie Maussion
Production. Soutien : Association W, La Méridienne- scène conventionnée de Lunéville (54),L’Amphithéâtre – Pont-de-Claix (38), Le Grand Logis-, Bruz (35),Le Canal- Théâtre intercommunal de Redon (35)Taisez-vous ou je tire
commande d’écriture à Métie Navajo
mise en scène Cécile Arthus
Chorégraphe Aurélie Gandit
Scénographie Estelle Gautier
Lumière Maëlle Payonne
compositeur sound designer Clément Bouvier
Costumes Chantal Lallementavec Hiba El Aflahi, Olivia Chatain, Timothée Doucet, Léonie Kerckaert, Chloé Sarrat, Mehdi Limam, Jackee Toto et en alternance les adolescents-comédiens Rachel Arrivé, Camille Delaunay, Sharon Ndoumbe et Harouna Abou Ide, Kiara Ramazotti, Carla Thomas
Production déléguée Le Préau Centre Dramatique de Normandie – Virecoproduction NEST CDN transfrontalier de Thionville – Grand Est | Oblique Compagnie
Tournée (en cours)
> Le 25 avril 2017, La Ferme de Bel Ebat, Guyancourt
> Les 27 et 28 avril 2017, Le Théâtre de Lorient – CDN> Mai 2017, tournée dans le bocage Normand
Nous n’avons pas pu voir Je clique donc je suis de Thierry Collet.
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