ƒ article de Florent Mirandole

© JC Carbonne

Berratham ne figure pas sur les cartes. Sombre, dangereux, le lieu où se déroule la tragédie d’Angelin Preljocaj est un lieu à la marge, brutal et sauvage, dont on rêve de s’échapper lorsque l’on est jeune. Le nom même de Berratham suffit à piquer notre intérêt, tant le mot fait écho à un horizon mythologique et vaguement inquiétant. Pour l’amour d’une femme, un jeune homme décide pourtant d’y replonger et de remuer la vase du passé.

C’est un spectacle hybride qu’a créé Angelin Preljocaj. A partir d’un texte demandé à l’écrivain Laurent Mauvignier, le chorégraphe construit un spectacle antique, où la narration de l’histoire est entrecoupée de tableaux dansés. Répartis autour de la scène, les acteurs alternent entre récit et danse. L’intérêt de mêler le théâtre et la danse était de faire se rencontrer des univers nouveaux, différents. Retour à Berratham pourrait être la version moderne d’une tragédie grecque ou d’un polar américain, à mi-chemin entre l’Orestie et A l’est d’Eden. Pourtant a aucun moment nous n’atteignons le suspens d’un polar, et encore moins la terreur d’une tragédie. A aucun moment ce spectacle ne semble décoller, lesté par le poids du texte de Laurent Mauvignier

C’est la deuxième fois que le chorégraphe Angelin Preljocaj met en scène l’œuvre de Laurent Mauvignier, après « Ce que j’appelle oubli ». « Dans Retour à Berratham », un flot de paroles se déverse à nouveau sur la scène, jusqu’à noyer cette histoire dont on pourrait pourtant suivre le fil par curiosité, dans l’attente du prochain tableau dansé. Si le texte se vautre dans le pathos, le chorégraphe est tout aussi fautif en faisant déclamer le texte sur un ton grandiloquent et hystérique. Contraints de crier leur texte, les 3 acteurs en deviennent paradoxalement transparents. On finit par être gêné devant cette parodie de tragédie grecque, où aucune nuance, aucune subtilité ne vient ne serait-ce qu’esquisser les contours d’un personnage ou d’une situation crédible.

L’écart entre la vacuité du texte et la force des tableaux dansés n’en est que plus frappante. La danse accompagne le texte, ou s’impose parfois seule au milieu de la scène. La beauté de l’art de Preljocaj éclate alors à la figure. Les chorégraphies un peu martiales du chorégraphe saisissent le cœur, et instillent un sentiment d’urgence tragique particulièrement fort. Mais le plaisir ne dure pas, et un nouvel épisode narratif prend le relais. On regrette alors à nouveau l’intrusion de la parole dans un spectacle qui aurait pu être magnifique.

« Retour à Berratham »
d’Angelin Preljocaj
Chorégraphie et mise en scène Angelin Preljocaj
Texte Laurent Mauvignier
Commande d’écriture Angelin Preljocaj
Scénographie Adel Abdessemed
Lumières Cécile Giovansili-Vissière
Création sonore 79D assisté de Didier Muntaner
Musiques additionnelles Georg Friedrich Haendel, Fatima Miranda, Abigail Mead
Costumes Sophie Ghellert
Réalisation des costumes Margarita Ospina
Assistant adjoint à la direction artistique Youri Aharon Van den Bosch
Choréologie Dany Lévêque
Direction Nicole Saïd
Direction technique Luc Corazza
Régie générale et son Martin Lecarme
Régie lumières Sébastien Dué, Jean-Bastien Nehr
Électricien Julian Rousselot
Régie plateau Khalil Bessaa
Régie costumes Martine Hayer
Fabrication décors Atelier du Petit Chantier, Atelier CHD Art-Production (voitures)
Avec Virginie Caussin, Laurent Cazanave, Aurélien Charrier, Fabrizio Clemente, Baptiste Coissieu, Margaux Coucharrière, Emma Gustafsson, Verity Jacobsen, Caroline Jaubert, Émilie Lalande, Barbara Sarreau, Niels Schneider, Liam Warren, Nicolas Zemmour

Du 29 septembre au 23 octobre 2015

Théâtre National de Chaillot
1, place du Trocadéro – 75116 Paris
Réservations : 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

Be Sociable, Share!

•