ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Plongés dans le noir absolu, un noir qui vous absorbe, la poésie de Charles Baudelaire vous entre dans la chair et vers après vers atteint vos nerfs et votre moelle. Yves-Noël Genod l’enchanteur nous invite à traverser l’enfer et la raucité d’un poète. Expérience ô combien forte et singulière, c’est une invitation au voyage, dépouillé de tout bagage, avec pour seul guide cet autre poète, Yves-Noël Genod. Plongés dans le noir absolu et sans nul repère, c’est l’âme de Baudelaire, c’est l’homme à nu, à vif, que nous entendons sidérés. Désincarné mais vivant, terriblement, terriblement vivant, par les voix d’Yves-Noël Genod. Comme barbouillées de confiture verte ou embrumées d’opium, ces voix ne sont que les voix intérieures du poète qui lui vrillent le cerveau. Expérience perturbante et fascinante d’être comme chimiquement dissous dans la pensée du poète, poésie corrosive qui nous ronge bientôt à notre tour et dans laquelle nous sommes physiquement immergés, en apnée. Parfois dans l’obscurité profonde passe un fantôme apaisant qui calme notre peur primaire du noir. C’est Yves-Noël Genod qui, sur la pointe de ses bottes, ectoplasme gracile de cette séance de spiritisme singulière, nous rassure de sa présence. S’assure aussi que nous sommes vivants. Ici, dans cette nuit magnétique, il nous
© Louis Malecek
faut mourir un peu pour renaître à la poésie. Car cette poésie-là est bien vivante. Yves-Noël Genod désacralise le poète Charles Baudelaire pour nous donner à entendre le cœur battant, le cerveau fébrile et fiévreux de l’homme Charles Baudelaire. Notre regard bâillonné, notre esprit phosphore et c’est toute la dimension profondément humaine, érotique et tragique que nous entendons enfin. Cette poésie est bien vivante, oui, et bat au rythme du cœur de Charles Baudelaire. Poésie de voyou, de mauvais drôle, de mauvais coucheur, de mauvais payeur.
Les voix d’Yves-Noël Genod, dans l’imperfection volontaire de leurs enregistrements, leurs hésitations parfois, où la toux racle salement les poumons et interrompt le flot, fragmentent cette poésie en nombreux éclats de miroirs, bris tranchants à vous taillader les veines où se réfléchissent les tourments, le spleen et la lucidité immanquablement douloureuse d’une vie. Et nous là, aveugles perdus et consentants, au centre d’un astre noir qui nous engouffre vivants et bientôt morts, sommes suspendus à ces voix, à cette poésie rauque – rock? – qui révèle une humanité insoupçonnée sous le glacis du poète sacralisé.
Yves-Noël Genod a compris que l’incarnation de la poésie passe sans aucun doute par sa désincarnation. Se déréaliser. Yves-Noël Genod ne se prend donc pas pour Charles Baudelaire. Il a cette élégance de s’effacer et de toujours nous rappeler qu’il est bien Yves-Noël Genod. Nous aussi dans cette grotte lotophage où brillent d’un noir mat les vers de Charles Baudelaire nous nous effaçons lentement, nous nous évaporons pour n’être plus qu’au cœur de l’écriture du poète. Et bientôt la Charogne a l’odeur de la charogne ! Mais il nous faut rester vivant, promesse tenue à Yves-Noël Genod. Et c’est aussi la force de cette création. Si la poésie de Baudelaire est toujours vivante, elle nous rend aussi et terriblement vivants.
Rester vivant (Tableaux parisiens)
Une création d’Yves-Noël Genod
D’après les poèmes de Charles Baudelaire (poèmes tirés des recueils les Fleurs du Mal et Le Spleen de Paris)
Son Benoit Pelé
Lumière Philippe Gladieux
Assistanat Gildas Gouget
Avertissement : le spectacle se joue dans le noir totalThéâtre du Rond-Point – salle Roland Topor
2bis, av. Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
Du 16 au 31 décembre 2014, 21h
Réservations : 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.frFestival d’Automne à Paris
Réservations : 01 53 45 17 17
www.festival-automne.com
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