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Respire, de Sophie Maurer, mis en scène par Panchika Velez, La Scala, Paris

Sep 21, 2022 | Commentaires fermés sur Respire, de Sophie Maurer, mis en scène par Panchika Velez, La Scala, Paris

 

 

© Karine Letellier

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Le petit plateau de la Piccola Scala est « encombré » de panneaux en plexiglas, d’une chaise également en plastique transparent et à Cour, un musicien attend derrière son clavier, près de sa guitare. Une femme attend également, à Jardin, tapie dans l’ombre. Une mère, une femme, mais aussi une comédienne, que l’on reconnaît à peine une fois qu’elle se montre en pleine lumière. En jean’s, pieds nus, une veste large, confortable, celle avec laquelle pouvoir passer la nuit assise ou debout, à veiller, à penser, à espérer, à s’agacer de désespérer, à jouer avec les mots pour combler le silence de cette nuit qui n’en finit pas, à digresser pour mieux ensuite supplier, encourager, implorer cette chair de sa chair avec laquelle elle ne faisait encore qu’un quelques heures plus tôt, de respirer. Elle utilise et mêle tous les registres : l’interpellation au moyen de ces petits noms caricaturaux de la tendresse, tiré du monde animal et végétal pour l’essentiel, que l’on donne sans avoir peur du ridicule à ceux que l’on aime inconditionnellement, les considérations pratiques et les grandes leçons de vie. Elle fera tout ce qu’elle peut pour que son « petit chat », son « grelot », son « pigeon », son « écureuil », son « suricate » (etc.) porté par cette puissance et résilience de l’amour maternel, trouve le peu de force qui lui manquait pour respirer enfin par lui-même.

Le texte Respire de Sophie Maurer (publié chez Koïné éditions en 2020 sous le titre Héméra ou Respire) ne fait également qu’un avec Romane Bohringer. Sa voix grave, rocailleuse à l’extrême dans les premières minutes du spectacle, s’éclaircit légèrement peu à peu, sans perdre de sa vigueur et de son grain. La diction est parfaite quarante-cinq minutes durant. Jamais elle ne faiblit, jamais elle ne larmoie. Non plus que le texte. Le sujet, grave s’il en est, ne tombe à aucun moment dans le pathos ou le mélo. Et pourtant, qui a déjà passé une ou plusieurs nuits d’angoisse en soins intensifs à veiller son enfant dans le lieu paradoxalement hostile que devient l’hôpital, dont la fonction est pourtant de sauver, protéger, guérir, rassurer, sait combien la crainte de le perdre peut conduire à une forme de dolorisme dans ses délires nocturnes de l’imagination, en particulier quand le corps médical n’y croit plus ou doute même imperceptiblement.

Mais Sophie Maurer n’exploite pas, heureusement, et même refuse toute approche misérabiliste ou ton élégiaque. Elle propose avec Respire une ode à la vie et à l’amour, aussi niaise que cette formule puisse paraître. La mère comme le nouveau-né sont des lionnes, des battantes, des guerrières. La première encourage la seconde, et ouvre les yeux de tous les adultes, qu’ils soient ou non parents, à ce monde où l’on réclame le silence, où l’on étouffe les cris, telle cette technologie autour de la petite enfance qui prépare la vie future qui fait tout pour nous faire taire. Romane Bohringer se déplie, se déploie, après avoir laissé l’impression au début, qui était sans doute quelque chose d’intentionnel, d’être à l’étroit sur le plateau et d’avoir du mal à trouver une gestuelle. Peu à peu, elle rugit, elle est comme le dragon qu’elle évoque, une chimère qui s’enfouit sous terre puis jaillit pour ramener le petit être dans le monde des vivants alors que le jour va bientôt se lever avec toutes « ses promesses », pour qu’il fasse partie de tous ces êtres qui n’ont ni « fléchi », ni « flanché ». Elle nous regarde dans les yeux, comme si l’on pouvait aider nous aussi, se déplace avec une souplesse animale sans jamais cesser une logorrhée étonnante, pour se convaincre qu’elle peut être non seulement une « mère », mais aussi une « maman », qui sera le témoin de toutes ses/ces premières fois. Le premier livre, le premier baiser, le premier combat…

En arrière-plan, la musique est toujours présente et soutient avec discrétion le jeu et la volubilité du texte, tandis que sur un écran des projections tantôt réalistes, tantôt abstraites viennent appuyer la narration. Un seul regret : la sonorisation. Romane Bohringer n’a nul besoin d’un micro, qui plus est dans la petite salle de la Scala. Il est difficile qu’elle soit plus convaincante, mais elle serait sans aucun doute plus émouvante sans ce soutien technique qui ôte un peu du naturel et du combat propre au comédien de théâtre.  Romane Bohringer aurait même pu se contenter d’une chaise et d’un piano, on aurait tout autant apprécié et frémi à ces mots du médecin qu’elle prononce enfin : « votre bébé respire Madame ». Et nous aussi, on ne peut le nier, en sortant de la salle.

 

 

Respire, de Sophie Maurer

Mise en scène : Panchika Velez

Scénographie et lumières : Lucas Jimenez

Musique : Baloo Productions

Collaboration artistique : Mia Koumpan

 

Avec : Romane Bohringer, Bruno Ralle

 

Durée 45 mn

Jusqu’au 8 octobre 2022 et du 3 février au 1er avril 2023, du jeudi au samedi à 19 h 30

 

La Scala Paris

Salle La Piccola Scala

13, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Téléphone : 01 40 03 44 30

 

 

 

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