Article d’Anna Grahm

© Aglaë Bory

Plongé dans le noir, le public s’accroche aux battements de cœur qui remplissent l’obscurité. Privé de ses repères habituels, il développe avec une acuité nouvelle, une attention et une écoute plus affutée. Car il s’agit ici d’ouvrir la compréhension sur des espaces redoutés, trop souvent refoulés tant ils paraissent ultimes.

Ainsi débute le dépaysement, le spectateur abandonne son regard routinier pour adopter la démarche subtile du spectacle, et, partant de la région du cœur, il va exhumer une réflexion qu’il n’a peut-être pas encore abordée.

Tout commence avec Simon, fougueux surfeur, cœur battant sur sa planche, ivre de bonheur sur la crête d’une vague, au beau milieu de la nuit, tout commence avec le jeune Simon à peine sorti de l’enfance, qui vient de découvrir l’amour, un garçon en pleine santé qui se retrouve après un accident, à terre, mortellement blessé.

S’ouvre alors le questionnement d’une foule de personnages qui vont, sans toujours se rencontrer, se télescoper. Le narrateur, secondé par les voix off, passe à travers tous les rôles pour appréhender pas à pas l’acceptation du don, il présentera tous les acteurs qui gravitent autour du drame, l’empathie des soignants, l’attachement infini des parents, leur détresse, leur retranchement et l’impossible détachement auquel ils doivent consentir pour faire don du corps chéri.

C’est un cheminement de la mort à la vie, c’est le temps qui raccourcit, qui exige pourtant des explications pour faire un choix, un choix souvent cruel pour les familles désorientées, une décision qui ne peut attendre et doit s’effectuer dans l’urgence, qui se heurte à de multiples résistances, qui interroge la dignité du défunt, la religion, les peurs ancestrales.

L’acteur et metteur en scène Emmanuel Noblet prend à bras le corps chacune de ces existences prises dans un compte à rebours vertigineux. Chaque personnage qu’il campe est un lien vers l’autre, un maillon vital face au temps qui défile sur le coin de l’écran. Mais cette chaine d’entraide, pour qu’elle devienne une histoire de vie, doit se construire à la fois sur la relation humaine qui se tisse, sur la volonté éclairée et l’effort quasi inhumain d’appréhender sous le coup de l’émotion, un raisonnement altruiste.

Le roman de Maylis De Kérangal aborde ce tissu du monde soudain troué de douleurs, l’auteure raconte ce gouffre tragique où se tiennent vivants et mourants, où se mêlent espoirs et désespoirs, elle fait le point sur l’état de notre connaissance, sur nos multiples correspondances et témoigne de nos formidables avancées scientifiques.

L’acteur, qui a adapté ce roman, articule les tensions sans pathos, se retranche derrière un jeu maitrisé, contenu, dessine un lieu d’un geste précis, effleure les situations d’un trait pudique, devient tour à tour ado, parent, infirmier coordinateur, receveur ou chirurgien. Il traverse le rite de la transplantation – qui se rapproche étrangement du travail du plombier – l’explore avec une précision d’orfèvre. Il n’oublie pas l’humour, ni le courage de ces hommes et de ces femmes toujours à pied d’œuvre pour sauver des vies, encourage à gravir les strates du raisonnement pour faire acte de générosité, fait inscrire sur l’écran les informations légales et amène le public à mieux comprendre l’approche du don. Un spectacle subtil et engagé qui en dit long sur l’évolution de notre humanité et notre quête d’immortalité.

Réparer les vivants
D’après le roman de Maylis De Kérangal
Adaptation et mise en scène de Emmanuel Noblet
Collaboration Benjamin Guillard
avec Emmanuel Noblet

du 7 septembre au 9 octobre 2016
à 21 h

Théâtre du Rond Point
2 bis avenue Franklin Roosevelt – 75008 Paris
réservation 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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