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Rencontre avec Charlotte Rondelez à propos de sa pièce To be Hamlet or not,

Mar 21, 2016 | Commentaires fermés sur Rencontre avec Charlotte Rondelez à propos de sa pièce To be Hamlet or not,

Interview réalisée par Ulysse Di Gregorio

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UDG : Charlotte Rondelez, dans votre spectacle To be Hamlet or not, l’intrigue est focalisée sur le personnage d’Hamlet comme son titre l’indique. Tout au long de la représentation, vous vous emparez de ce mythe pour le déconstruire et le reconstruire. Pourquoi vous êtes-vous tournée vers Hamlet, et comment avez-vous amorcé ce travail d’écriture ?

CR : J’aime beaucoup la pièce d’Hamlet, j’ai lu des thèses et des livres sur Hamlet où pendant 300 pages l’auteur se demande si ce n’est pas Hamlet qui a tué son propre père et inventé le spectre. Moi ça me fascine, mais c’est vrai que lorsque je commence à rencontrer les gens de théâtre, certains ne veulent pas que l’on touche à Hamlet.

Au début nous avons cherché plein de versions, un peu comme dans ces nombreux films où la trame de l’histoire est suivie mais avec un autre scénario.

UDG : Cette pièce est-elle une mise en abyme du travail de comédien à l’image des 6 personnages en quête d’auteur de Pirandello ? 

Cette mise en abyme est venue malgré nous parce qu’au début c’était la recherche de la liberté : comment je quitte moi-même mon personnage dans cette société. Et puis si l’on part du principe qu’il y a un destin, qu’il y a des choses qui sont plus fortes que nous, soit une destinée, soit une vie sociale – tout ce qui est le carcan dans lequel on se trouve – comment lutte-t-on contre la page ? Contre ce qui est déjà écrit ? Comment lutte-t-on contre son auteur ?

Et puis à un moment donné nous nous sommes dit que nous écrivions quelque chose d’assez figé. A ce moment-là de l’écriture, moi je travaillais en écrivant deux ou trois scènes par acte et avec un scénario qui avait toujours la même fin. Et puis les comédiens ont fini par me dire que ce n’était pas possible, qu’ils n’étaient pas d’accord et que ce n’était pas du tout ce qu’ils voulaient faire. Au départ ils ne voulaient pas travailler sur un être tragique, mais sur un conte ou Don quichotte. Et finalement ce qui se passe sur le plateau pendant le spectacle [les désaccords entre les comédiens sur le déroulement du scénario] est exactement ce qui s’est passé pendant les répétitions. Jusqu’où pousse-t-on le mur ? Car il y a le mur du personnage, le mur de la pièce, le mur du livre, le mur du théâtre. A quel moment franchissons-nous le mur du théâtre ? On franchit toutes les conventions et puis finalement on retombe dans d’autres conventions, et puis on ne s’en affranchit jamais vraiment. Mais au début ce n’était pas du tout l’ambition du spectacle, c’était vraiment la quête de liberté.

Il y a également la thématique du voyage – à l’image de celui d’Ulysse.

C’est vraiment une épopée et l’idée est de passer d’un monde à l’autre, de se laisser déstabiliser par quelque chose que l’on peut trouver absurde dans un premier temps. Ce voyage d’un univers à l’autre finissant par montrer que le plus ridicule n’est pas celui qu’on croit. Finalement ce n’est pas le « Champignon » le plus ridicule. Le voyage est venu d’une envie car je ne voyage pas beaucoup en vrai.

Mais qu’est-ce que voyager en vrai ? Le vrai voyage est imaginaire, on peut aller tellement loin…

Shakespeare nous propose toujours des visions prophétiques, il nous montre l’avenir dans la sensibilité et chez vous on retrouve aussi cette thématique du futur.

Moi j’ai eu un parcours un peu personnel. Je suis venue du monde de la finance et lorsque j’ai quitté la finance pour faire du théâtre, tout le monde m’a dit « Mais quel courage ! Tu es complètement libre ! ». Et c’est à ce moment-là que je me suis retrouvée le plus emprisonnée, à cause de l’image que les gens projetaient sur moi. J’ai dû mettre des années à m’affranchir de cette image, à vivre l’instant que je voulais vivre. Le but ce n’était pas d’être sur des affiches, il y avait autre chose que je cherchais. Alors pour l’avenir je ne sais pas. En revanche j’aimerais qu’il ne soit pas sérieux. Moi j’adore l’enfance et l’adolescence pour les murs qu’ils refusent de construire ; et avec tous les comédiens c’est ce dont on avait envie.

Peut-on parler de co-écriture ?

J’ai écrit la trame, une grosse partie des dialogues, mais on a commencé par des trainings où les comédiens m’ont proposé beaucoup d’improvisations avec toute une batterie de personnages. Par conséquent, à chaque fois que j’écrivais c’était pour ce personnage là et quand le langage ne correspondait pas, on réécrivait derrière. Il y avait toujours cette ligne dramatique que moi j’insufflais, ces moments d’écritures très solitaires qui peuvent être assez laborieux d’ailleurs ! Et puis il y a eu une réelle confrontation sur le plateau avec des comédiens qui ont tellement aimé ce projet qu’ils ont refusé de faire des choses avec lesquelles ils n’étaient pas d’accord. Ces confrontations ont été fortes mais riches, on a mis beaucoup de temps, il y a eu 63 versions du texte ! Avec des histoires très très très différentes. L’univers que l’on a en commun avec ces comédiens c’est le refus de dire qu’il y a des images pour l’enfance, des images pour le monde adulte, et peut-être des images pour la vieillesse.

Je crois que tout le monde s’y retrouve dans votre pièce.

Non, vraiment pas tout le monde, mais ce n’est pas grave finalement. L’universalité est aussi une prison. Moi je préfère qu’on se dise que des gens ne sont pas d’accord, qu’ils n’aiment pas, et c’est bien qu’on ne soit pas tous pareils.

Hamlet est parmi eux et ils ne le voient pas…

Non, ils ne le connaissent pas et ne cherchent pas à le connaître.

Finalement n’y a-t-il pas toujours un Hamlet autour de nous ? Un personnage que l’on refuse de voir et qui est parmi nous ?

Mais est-ce vous, vous n’êtes pas un Hamlet ? Est-ce que les gens vous voient ?

Mais est-ce qu’ils ont envie de voir ?

Mais non. C’est la vraie question. Le nombre de fois où on arrive dans un lieu où les gens ne s’intéressent pas à vous. Et en même temps c’est dur de savoir qui on est.

C’est tellement énorme, nous sommes devant une montagne, il y a de tels potentiels autour de nous !

C’est Musset qui dit ça : « C’est tout un monde que chacun porte en lui ! Un monde ignoré qui meurt et qui naît en silence ! Quelles solitudes que tous ces corps humains ! ». C’est dans Fantasio.

Et puis finalement est-ce que c’est grave ? Est-ce que j’ai besoin que les autres me connaissent pour vivre, moi ? Et cette richesse elle peut désarçonner, je ne vous connais pas, je ne sais pas qui vous êtes et pourtant on se parle. On est dans une absurdité globale, mais ne taisons pas cette richesse et cette multitude qu’il y a en chacun de nous sous prétexte que les gens ne la voient pas.

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