ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Elles sont deux. Comme l’ombre déportée de l’une ou le reflet inversé de l’autre. Elles se ressemblent, même perruque blonde, même tenue vestimentaire faite de jeans, mais se distinguent. Elles forment un angle, comme un V, par leur contrapposto opposé. Elles sont déjà là quand nous arrivons, immobiles sur un sol et fond blancs, comme deux mannequins de plastique, comme deux mannequins de chair à détourer dans une séance de shooting photographique, et elles sont tout autant absentes, nous faisant signe d’un ailleurs, leur représentation visible n’étant qu’un passe-muraille pour toucher du doigt l’infigurable. REFACE du Collectif Les Idoles est sidérant dans sa performance, profondément troublant par ce qu’il agite et parce qu’il agit dans nos systèmes cognitifs. Et si la référence à l’artiste Cindy Sherman et à ses travaux photographiques saute immédiatement aux yeux dans ce paradoxal entrelac d’artefacts et de présence pure, dans ce cabaret transformiste où la régénération vers de nouveaux visages, formes inédites nous projetant vers de nouveaux rivages, se fait inlassable, c’est bien plus du processus même de leur formation que des images formées que se nourrit REFACE. Emboité dans une boucle électronique, évoluant elle-même entre tictac d’une horloge, cadence d’un métronome, et passage d’un train au lointain, les visages se dévisagent dans une ouate temporelle qui s’étire et se contracte, sculptée par un subtil mouvement de balancier qui rapproche et éloigne les deux corps, créant l’illusion d’une marche ou pour le moins d’une démarche. La focalisation du regard sur le nœud formé par ces deux corps aux identités liquides amène vite le spectateur à cette sensation bien connue du voyageur qui pense être en mouvement quand c’est simplement le train d’à côté qui s’en va. Ici, par la même inversion, par cette même relativité, c’est l’espace et nous-même qui paraissent ballotés d’un léger et lancinant ressac quand nos deux larronnes seraient tranquilles à nous regarder passer. L’étrangeté est aussi dans le regard que le spectacle porte littéralement sur le spectateur, pas de côté, regard de biais, difficilement interprétables et pour cela-même inquiétants et intranquilles, produisant cette inversion des rôles où le regardeur finit par se sentir lui-même regardé. Il est rare de voir des yeux pareils sur une scène, des yeux épinglés par l’intensité et la permanence de leur regard sans ciller. Des yeux qui s’affirment tout autant mire, pupille dans le blanc, cible à viser, vertigineux trou noir où toute forme se fond.
Dans cette hypnotique procession de figures affleurant et s’évanouissant d’un arrachement de perruque, du décollement d’un cellophane, d’un changement d’axe, exposant ainsi deux femmes élégantes et factices, deux enfants mâchouillant, deux truands à l’affut d’un mauvais coup, et bien d’autres…., REFACE affirme sa primitivité à l’ère du morphing numérique, décomposant et recomposant ses visages par un artisanat rudimentaire. Les gommettes se collent et se décollent, les sourcils deviennent moustaches, la chevelure barbe, dans une économie et une équivalence des traits bousculant le portrait. Les reliefs deviennent aplats colorés comme chez David Hockney. La peinture du visage se fait de guerre, l’humain disparaît dans l’animal, à moins qu’il ne s’agisse de l’apparition de l’animal dans l’humain, autant d’autres manières de s’envisager. La ressemblance se dissout dans la plasticité archaïque des figures ; les formes dansent, s’accolent et se séparent empruntant momentanément aux représentations qui fixent collectivement notre imaginaire, s’en détournant, et rejoignant le creuset sans fond de l’infigurable et de l’informe. C’est de cette évanescence, de cet éphémère, empruntant à l’art fragile du simulacre, arte povera d’une magistrale performance, que se fait et se défait, sans fin, et l’on pense à Pénélope, l’étoffe du réel tissé d’imaginaire. En cela, et avec précision et virtuosité, REFACE est capable d’atteindre l’incroyable.
REFACE, conception et réalisation du Collectif Les Idoles
Interprètes : Chandra Grangean et Lise Messina
Création musique live : Martin Malatray-Ravit
Conception maquillage : Chloé Herouart
Création costumes : Lucie Grand Mourcel
Regards extérieurs : Natacha Kierbel et Tom Grand Mourcel
Aide à la composition : Jacopo Greco d’Alceo
Création lumière et scénographie : Johanna Thomas
Durée : 40 minutes
Du 12 au 13 mai 2023 à 19h
TPM
Théâtre Public Montreuil
salle Maria Casarès,
63 rue Victor-Hugo
93100 Montreuil
Tél : 01 48 70 48 90
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