© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Reclaim est une expérience sensorielle et humaine. Une fois installé, le public ne sait pas trop à quoi s’attendre, conscient seulement d’avoir eu la curiosité de venir assister à un spectacle circassien et musical, autour d’un rituel.
Le son d’un tambour d’abord. Les coups, portés énergiquement sur sa peau par une maîtresse de cérémonie à la jolie et longue tresse brune, rythment les pas de quatre hommes tournant sur la piste circulaire, recouverte d’un revêtement blanc. Ils poussent des cris et leurs bras se plient et se déplient à l’unisson, frappant leurs poitrines dans une semi-obscurité. Des hommes qui deviennent des animaux au sens propre et figuré. Des hommes qui brutalisent une femme par leur force et leur nombre, la laissant inanimée à terre après s’être pourtant bien défendue. Une jeune femme forte et gracile. Une créature à la fois quadrupède et oiseau, aussi agile à terre que dans les airs, aussi puissante que légère, rugissante que gracieuse. Une femme qui va changer avec trois autres l’ordre des choses. Mais avant cela, c’est la guerre, avec tous ses attributs. Les muscles saillants de corps se déplaçant à quatre pattes qui passent entre nous, bipèdes sagement assis, nous bousculent, dépouillent l’un de ses chaussures, l’autre de sa tranquillité ; le fer luisant et coupant de la hache qui frôle les têtes à une grande vitesse, comme une épée de Damoclès, en effraie plus d’un. Les masques des loups qui rugissent en bande se font menaçants.
Les corps se tordent, s’empilent, se tendent, sautent, tournoient dans les airs. Les coups de pieds sont courbés comme des danseurs classiques, mais les têtes renversées, les jambes en écart à la verticale ou en oblique à plusieurs mètres de hauteur, juchés à main portant (petite extrémité du corps allant généralement par deux, mais mentionnée au singulier de manière non fortuite).
Les voltigeurs voltigent et les porteurs portent mais nous racontent aussi, en les murmurant, des histoires d’enfance. La mezzo-soprano Blandine Coulon chante, mais parfois debout sur deux autres humains, à moins qu’ils ne soient des totems vivants, comme celui à l’entrée du cercle ou est accroché le totem et caché l’enfant dans la peau de mouton. La chanteuse lyrique touche parfois presque les projecteurs à cinq mètres de hauteur, ou à plat ventre, emportée par plusieurs bras sans que son timbre ne tremble. Les violoncellistes actionnent leurs archets ou enchaînent les pizzicati, assises classiquement sur leurs chaises ou sur les épaules d’un colosse humain lancé à toute vitesse sur la piste. Toutes trois interagissent à partir d’un extrait d’une suite de Bach puis avec des adaptations d’airs de musique baroque connus (« Ye Gentle Spirits of the Air » extrait de The Fairy Queen de Purcell ou « Erbarme dich » dans La Passion selon Saint-Matthieu de Bach) ou avec des chants moins connus (le populaire arménien « Loosin Yelav » dans la version de Berio ou encore l’« Alto Giove », extrait de Polifemo de Porpora).
Tous les corps vibrent, sursautent ou s’immobilisent avec une générosité peu commune. Chaque membre de la compagnie belge Théâtre d’un jour livre toute son énergie, sa force, son animalité, sa sauvagerie, sa grâce, sans le moindre cillement ou souffle intempestif alors que les prouesses physiques s’enchaînent à un rythme et une difficulté toujours plus grande et dans une poésie féroce.
Les spectateurs finissent par faire meute avec les artistes, à créer une communauté humaine apaisée, où les femmes ont réussi à renverser le patriarcat. Pour preuve cette spectatrice d’un soir n’hésitant pas à caresser la tête et la nuque de l’impressionnante créature la frôlant lors de l’un de ses passages. Et puis subtilement l’équilibre se dessine, l’égalité perce. « L’avenir n’est pas ce qu’il va nous arriver, c’est ce que nous allons en faire » nous dit-on comme unique leçon ou comme seule recommandation. On repart avec ce rêve comme avec un trésor. Il faut bien retourner dans le monde réel, non sans difficulté. Reclaim, Reclaim…
© Christophe Raynaud de Lage
Reclaim, écriture et mise en scène de Patrick Masset
Scénographie et costumes : Oria Puppo
Marionnette : Polina Borissova
Masques : Isis Hauben
Travail du fer : Jean-Marc Simon
Réalisation de la toile peinte : Eugénie Obolensky
Travail chorégraphique : Dominique Duszynski
Assistante à la mise en scène : Lola Chuniaud
Création lumière : Frédéric Vannes
Avec :
Blandine Coulon (mezzo-soprane)
Eugénie Defraigne et Suzanne Vermeyen en alternance avec Ambre Tamagna (violoncellistes)
Chloé Chevallier, César Mispelon et Lisandro Gallo, en alternance avec Franco Pelizzari Del Valle (voltigeurs)
Paul Krügener et Joaquin Diego Bravo, en alternance avec Lucas Elias (porteurs)
Durée : 1 h
Du 14 septembre au 6 octobre 2024
17 h ou 20 h 30
Le Cirque Electrique
Place du Maquis du Vercors
75020 Paris
www.cirque-electrique.com
Informations & Réservations : 09 54 54 47 24 / reservation@cirque-electrique.com
En tournée notamment en Europe :
– Palais des Beaux-Arts de Charleroi du 10 au 12 octobre 2024
– Winterfest à Salzbourg, du 28 novembre au 8 décembre 2024
– Théâtre du Maillon à Strasbourg du 12 au 16 décembre 2024
– Festival de Madrid du 20 au 26 février 2025
– Théâtre Royal de Namur du 4 au 8 mars 2025
– Centrum Cultuur de Bruges le 12 mars 2025
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