© Miliana-Bidault
ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
La pièce Rabelais de Jean-Louis Barrault mise en scène par Hervé Van der Meulen est un banquet. Une fête célébrant le spectacle vivant. Une ode à la joie, à la comédie, à la danse, à la musique, au théâtre.
Le plus morose ou blasé des spectateurs ne peut résister plus de quelques minutes à l’énergie, à l’entrain et au talent de la troupe venant du théâtre Studio d’Asnières où dix-huit comédiens sont présents presque en permanence sur le plateau plus de deux heures durant. La pièce mise en scène par Hervé Van der Meulen y avait été créée (avec une demi-heure de plus) en 2018, puis montée au Théâtre 13 en 2020, où elle était à nouveau présentée aux professionnels en mai 2021, avant d’être jouée devant le public en juin.
Hervé Van der Meulen a tranché dans le vif du texte de Barrault, dont le spectacle d’origine créé en 1968 à l’Élysée-Montmartre, durait presque le double, texte lui-même écrit d’après l’abondante œuvre de l’auteur éponyme. Une belle réponse, à l’époque, à l’éviction du directeur du théâtre de l’Odéon par le Ministre de la culture André Malraux. De l’exil de Rabelais privé de protection royale au limogeage de Barrault transmuant la punition officielle en liberté artistique renouvelée, il n’y a qu’un petit pas de géant et rabelaisien soulignant la continuité de la censure, changeant seulement de forme(s) entre le XVIème et le XXème siècle…
Une double introduction précède la pièce. Tandis que les spectateurs s’installent dans les gradins, les comédiens vêtus de noir, tous présents sur le plateau parlent, chahutent, chantent, jouent de la musique (percussions, flute traversière, piano, trompette, guitare installés à Cour), rient, dansent, marquent le rythme par des palmas et plongent presque aussitôt le public dans l’ambiance de tout ce qui suit, à savoir la démesure, la truculence des mots, des gestes, des accents, la précision des dictions, l’inventivité et le rythme de l’action qui ne souffre jamais de temps mort, l’enchaînement des déplacements, des gestuelles aussi finement chorégraphiées que les épisodes à proprement parler dansés.
Ensuite, référence est faite au monde contemporain et à ses ressemblances avec celui de Rabelais. Est-ce « son époque ou la nôtre » ? Ordre et désordre y sont en tout cas également « deux calamités ».
Dans cette effervescence communicative, jaillit la langue et l’esprit de Rabelais auquel la pièce est un hommage, à son amour de la vie, du bien boire, du bien manger, du bien jouir, dans un esprit de tolérance et d’humanisme, où la joie le dispute à l’absurde.
Celui qui fut avocat, médecin, linguiste, romancier savait mêler dans ses pléthoriques cinq Livres, notamment ceux consacrés à Pantagruel et à Gargantua, le familier et l’érudition, le vulgaire et le savant, les chansons paillardes et le vocabulaire technique, la langue populaire et les langues mortes…
Cette célébration des plaisirs de la vie est servie par des comédiens talentueux, dont les individualités (personnalités de jeu et nombreuses voix sublimes et pas seulement dans les parties chantées) ne nuisent pas à une harmonie d’ensemble présente de l’introduction aux saluts. Certaines scènes sont tout particulièrement réussies, telle que celle de l’accouchement de Gargamelle, la description imagée et à n’en plus finir des bons et moins bons « Torche-culs » par Gargantua, ou encore des moutons de Panurge.
Les belles lumières (notamment dans la scène du bateau), les inventifs costumes et décors et la scénographie finissent de parfaire l’ensemble. Un petit bijou à déguster sans modération, comme la « Dive bouteille » récurremment célébrée. Un spectacle idéal pour retourner au théâtre ou y aller tout court. Un spectacle dont on sort ragaillardi par l’effervescence de son énergie, par le plaisir incomparable d’assister à un moment unique où ne s’interposent ni un quatrième mur, ni un écran. Un spectacle idéal tiré des fantaisies d’un auteur faisant la transition entre le monde du Moyen-Âge et celui de la Renaissance, pour mieux souligner l’inévitable sensation d’un entre deux mondes dont les spectateurs citoyens de ce début du XXIème siècle n’ont que trop envie de s’extraire.
© Miliana-Bidault
Rabelais, Jean-Louis Barrault
Mise en scène Hervé Van der Meulen
Musique originale Marc-Olivier Dupin
Assistants Julia Cash, Ambre Dubrulle et Jérémy Torres
Chorégraphie Jean-Marc Hoolbecq
Scénographie et accessoires Claire Belloc
Costumes Isabelle Pasquier
Lumières Stéphane Deschamps
Maquillage Audrey Millon
Chefs de chant Juliette Épin-Bourdet, Juliette Malfray et Pablo Ramos Monroy
Son Arthur Petit
Avec :
Étienne Bianco, Loïc Carcassès, Aksel Carrez, Ghislain Decléty, Inès Do Nascimento, Pierre-Michel Dudan, Valentin Fruitier, Constance Guiouillier, Théo Hurel, Pierre-Antoine Lenfant, Olivier Lugo*, Juliette Malfray, Mathias Maréchal, Ulysse Mengue, Théo Navarro-Mussy*, Fany Otalora, Pier-Niccolò Sassetti, Jérémy Torres, Agathe Vandame
* en alternance
Durée 2 h 10
Théâtre 13 /Jardin
103 A, boulevard Auguste-Blanqui – 75013 Paris
Du 1er au 8 juin 2021 : du mardi au samedi à 18 h, le dimanche à 16 h
Du 9 au 19 juin 2021 : du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 16 h
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