À l'affiche, Critiques // Qui a peur du loup ? d’après Christophe Pellet et Macbeth de Shakespeare, mises en scène de Matthieu Roy, lecture de Gros de Sylvain Levey, Retour sur l’été à la Maison Maria Casarès, à Alloue

Qui a peur du loup ? d’après Christophe Pellet et Macbeth de Shakespeare, mises en scène de Matthieu Roy, lecture de Gros de Sylvain Levey, Retour sur l’été à la Maison Maria Casarès, à Alloue

Août 19, 2019 | Commentaires fermés sur Qui a peur du loup ? d’après Christophe Pellet et Macbeth de Shakespeare, mises en scène de Matthieu Roy, lecture de Gros de Sylvain Levey, Retour sur l’été à la Maison Maria Casarès, à Alloue

 

Gros, de Sylvain Levey © Corinne François-Denève

 

ƒƒƒ article de Corinne François-Denève

En 1961, quelques semaines après la mort d’Albert Camus, l’actrice Maria Casarès se met en quête d’un endroit à elle : Espagnole exilée, elle éprouve le besoin de s’ancrer, enfin, quelque part en France. Coup de chance : Cher Menteur vient de lui donner de confortables revenus. Elle décide de les investir dans l’achat du domaine de La Vergne, qu’elle n’a vu que sur une photo. Se joint à elle son ami André Schlesser (le fameux « Dadé », fondateur du cabaret de l’Écluse, personnage en soi fascinant, qui disparaît malheureusement un peu du tableau au profit d’amours plus célèbres de Maria Casarès) – il deviendra plus tard son mari et lui donnera la nationalité française. Pendant des années, tous deux investiront leurs cachets dans l’ameublement de cette maison, rapportant les objets chinés dans les brocantes dans leur deux-chevaux. Après ses tournées, Maria Casarès viendra se reposer dans cette maison, briquant, binant, parfois travaillant ses rôles, et mettant au travail tous ses visiteurs, bientôt exténués. À sa mort, en 1996, l’actrice lègue la maison à la commune, Alloue. Cadeau sans doute empoisonné pour un village gros d’une centaine d’habitants – mais le maire de l’époque, Christian Simmoneau, retrousse ses manches, en allant chercher la directrice adjointe du festival d’Avignon, Véronique Charrier, qui va s’employer à préserver le lieu, pour faire honneur aux volontés de Casarès – qui repose d’ailleurs, avec Schlesser, dans le petit cimetière de la commune. D’abord résidence d’artistes, et alors « maison du comédien », mais peu présente sur le territoire, la « Maison Maria Casarès » est désormais une « maison des illustres » et un « centre culturel de rencontre », présidé par Marie-Cécile Zinsou. « Site polyculturel ouvert au rythme des saisons », l’été, la Maison Maria Casarès fait vivre le spectacle vivant dans la Charente limousine, sous la conduite précise et chaleureuse de Matthieu Roy et Johanna Silberstein, respectivement metteur en scène et comédienne, et nouveaux hôtes du lieu. Elle vit aussi l’hiver et au printemps, en particulier grâce au dispositif « jeunes pousses », qui favorise la création émergente.

Chaque été, ainsi, pendant un mois, à partir de 15 h, est proposée à la « Maison Maria Casarès » une série de spectacles : une visite contée dans la maison, qui garde encore les meubles et les souvenirs de la grande comédienne (en particulier, dans une niche, son Molière, qui côtoie un crâne), où les visiteurs peuvent s’asseoir et écouter la belle correspondance qui s’échange entre Maria Casarès et Albert Camus, puis un goûter-spectacle, suivi d’un apéro-spectacle, tandis que la soirée se clôt par un dîner-spectacle, dehors, sous les arbres et les lampions, à de grandes tablées. Chaque spectacle est suivi, ou précédé, de dégustations de produits du cru : pain d’épices pour le goûter, jus de pomme ou vin pour l’apéro, et délicieux repas de légumes, viandes et fruits de saison pour le dîner. Les maîtres des lieux sont présents, accueillant les spectateurs et les commensaux, appuyés par une armée de bénévoles, dans lesquels on peut même reconnaître, cette année, le si prometteur comédien Thomas Silberstein, qui donc a, aussi, de multiples talents.

Les spectacles proposés sont de petites formes : les pièces du goûter et du dîner se déroulent à l’intérieur, dans une salle en bois, en dispositif bifrontal. La scénographie (praticables qui cachent la régie et servent de coulisses ; lit, salon, chaises) est la même pour les deux pièces, de même que l’installation qui accueille les spectateurs, qui sont invités à chausser des casques audio (les mêmes que ceux qui guident les spectateurs de lettres en lettres dans la visite contée de la maison). Le choix peut être curieux : dans cet endroit qui fait très « théâtre populaire », les casques, et les pièces mêmes, peuvent paraître bien sophistiqués – mais c’est sans doute une volonté d’ « élitaire pour tous » que Silberstein et Roy assument parfaitement. Ce dispositif, également, n’a pas forcément la même pertinence selon les pièces. Ainsi, la première, dite « jeunesse », Qui a peur du loup ?, d’après Christophe Pelley, semble curieusement mise à distance par l’utilisation du casque. Histoire d’un petit garçon qui voudrait devenir un loup pour traverser la forêt, et rejoindre son papa, qui travaille à un avenir meilleur en France, la pièce joue sur la peur et l’envie de fuir. Des sons travaillés, des bruitages, traversent les oreilles des spectateurs – l’effet semble être parfaitement réussi pour le jeune public, rivé à ce son qui leur parvient d’ils ne savent où, et entretient leur terreur ravie. Sont présents sur scène, également, les musiciens d’Ars Nova – la parole cède la préséance à la chanson, incarnée par deux jeunes filles qui semblent sorties d’un Jacques Demy, transformant le conte en pièce « en-chantée », n’était le choix d’un style dodécaphonique qui, s’il sert le propos « effrayant » de la pièce, peut aussi dérouter et laisser froid des spectateurs plus blasés. Reste toutefois la métamorphose finale, et l’envol du loup, beau moment. Rien de commun avec le Macbeth qui suit. Ce Macbeth, axé sur la traduction de Jean-Michel Déprats, est un Macbeth taillé à l’os : les personnages sont réduits au minimum, des scènes changent habilement de place, la fin ne sera pas la même. Tout ici est centré autour du drame intime de Macbeth et de sa femme, qui ont perdu un enfant et veulent (donc ?) le pouvoir – Béance/Fléance. Ici, le dispositif se révèle, curieusement, parfaitement heureux : passé le premier moment où on s’agite sur son coussin, mal à l’aise à l’écoute de voix susurrées à nos oreilles, là où on a l’habitude d’entendre éructations et vociférations (à la Casarès ?), la magie opère. Là, les discordantes voix des sorcières (Ars Nova participe aussi à ce spectacle) ont toutes leur place, et les confidences des deux amants maudits, que l’on semble seul entendre, complice du tourment secret, et de l’assassinat, touchent autant qu’ils effraient. Enfin, pour un public qui irait peu au théâtre, et ne connaîtrait pas Macbeth, cette forme à l’infini mérite d’être juste, sans trahir l’original et parfaitement claire – là où la « Scottish play » est parfois bien obscure.

Entre le loup et les amants meurtriers, la petite respiration bienvenue vient de Sylvain Levey, et de son Gros, lecture d’un texte autobiographique sans doute encore en gésine. Derrière la maison de Maria, sur le perron, l’auteur lit lui-même son texte, juste interrompu par les hennissements gracieux des chevaux du parc d’à côté. Quelques mouvements bienvenus aèrent le texte. Soit donc l’histoire d’une petite crevette qui ne mange pas beaucoup mais qui, le soir de la victoire de Mitterrand, va découvrir le plaisir de la nourriture (les politologues et sociologues, plus tard, se pencheront sur cela). Enfant un peu anorexique, puis boulimique, dirait la « science », le voilà surtout devenu « le gros », heureusement sauvé par son humour, et son sens de la répartie. Et puis aussi, mais c’est une autre histoire, par le théâtre et par l’amour – la beauté du geste est que Levey dit son texte, ce soir-là, devant sa petite fille, qui se souviendra, sûrement, plus grande, de cette maison, de cette belle dame qui l’a donnée, et de son papa qui parlait d’elle devant des gens qui ne la connaissaient pas. Le texte est émouvant, contient de fort jolis moments sur une France dite moyenne et si attendrissante ; il est aussi très drôle, et surtout parle à tous, spectateurs enchantés, le verre à la main.

Convivialité, ruralité, proximité, création, émergence : ces mots sont les antiennes irritantes des dossiers de presse, ou des dossiers DRAC. Mais ici ces éléments de langage prennent tout leur sens : à la Maison Maria Casarès, sous l’égide bienveillante et formidable de la maîtresse des lieux se joue un rapport fascinant entre le théâtre (les spectacles) et la vie (les enfants qui courent dans le parc, les inconnus qui s’attablent ensemble pour parler du spectacle qu’ils viennent de voir ou… de qui ils sont). Le lieu est habité d’une présence qu’on ne peut qu’imaginer bienveillante, qui chasse la pluie aux moments opportuns, sorcière des éléments (merci, Maria…). Plus prosaïquement, Johanna Silberstein et Matthieu Roy mènent un bien joli travail. Dernière chose : si le lieu ne cesse de voir sa fréquentation augmenter, son éloignement relatif des centres névralgiques et citadins en fait, encore, un lieu vivable, loin du « bûcher théâtral » de Paris ou, disons d’Avignon. Pour l’instant ne s’y pressent que des happy few ravis d’être là et d’y prendre leur temps. Pourvu que ça dure : paradoxalement, c’est tout le mal que l’on peut souhaiter à Matthieu Roy et Johanna Silberstein.

 

 

Goûter-spectacle : Qui a peur du loup ? de Christophe Pellet

Mise en scène, adaptation & dispositif scénique : Matthieu Roy

Composition musicale : Aurélien Dumont

Direction musicale : Jean-Michaël Lavoie

Création costumes : Noémie Edel

Création lumières : Manuel Desfeux

Création son : Grégoire Leymarie

Régie son : Grégoire Leymarie en alternance avec Manon Amor

Construction du décor et régie : Daniel Peraud et Thomas Elsendoorn

Assistante à la mise en scène : Marion Lévêque

Réalisateur en informatique musical : Sébastien Naves (IRCAM)

Avec : Juliette Allen (soprano), Philippe Canales (comédien), Iris Parizot (alto)
Léna Rondé (soprano), Johanna Silberstein (comédienne)

 

Et la participation d’un septuor pré-enregistré avec les musiciens d’Ars Nova

Alain Trésallet (alto), Isabelle Veyrier (violoncelle), Tanguy Menez (contrebasse), Isabelle Cornélis (percussions), Patrick Wibart (serpent), Giani Caserotto (guitare électrique), Pascal Contet (accordéon)

 

Du 22 juillet au 22 août, tous les lundis, mardis, jeudis et vendredis à 16h30 

Durée : 1h

Dès 6 ans

 

 

Apéro-spectacle : Gros de Sylvain Levey

Mise en scène : Matthieu Roy

avec : Sylvain Levey

 

Du 22 juillet au 22 août, tous les lundis, mardis, jeudis et vendredis à 18h30

Durée : 1h

 

 

Macbeth d’après William Shakespeare

Mise en scène, adaptation & dispositif scénique : Matthieu Roy

Composition musicale : Aurélien Dumont

Direction musicale : Jean-Michaël Lavoie

Création costumes : Noémie Edel

Création lumières : Manuel Desfeux

Création son : Grégoire Leymarie

Régie son : Grégoire Leymarie en alternance avec Manon Amor

Construction du décor et régie : Daniel Peraud et Thomas Elsendoorn

Assistante à la mise en scène : Marion Lévêque

Réalisateur en informatique musical : Sébastien Naves (IRCAM)

 

Avec : Juliette Allen (soprano), Philippe Canales (comédien), Iris Parizot (alto), Léna Rondé (soprano), Johanna Silberstein (comédienne)

 

Et la participation d’un septuor pré-enregistré avec les musiciens d’Ars Nova

Alain Trésallet (alto), Isabelle Veyrier (violoncelle), Tanguy Menez (contrebasse)
Isabelle Cornélis (percussions), Patrick Wibart (serpent), Giani Caserotto (guitare électrique), Pascal Contet (accordéon)

 

Du 22 juillet au 22 août, tous les lundis, mardis, jeudis et vendredis à 19h30

Durée : 1h

Dès 12 ans

 

Visite contée : la correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus

Mise en scène : Matthieu Roy

Interprète : Johanna Silberstein et Philippe Canales

Création son : Eddie Ladoire

Scénographie : Gaspard Pinta

Développeur : Alban Guillemot

 

Du 22 juillet au 22 août, tous les lundis, mardis, jeudis et vendredis de 15h à 19h en continu

 

LA MAISON MARIA CASARÈS
Marie-Cécile Zinsou, Présidente
Johanna Silberstein & Matthieu Roy, Codirecteurs

 

Domaine de la Vergne

16490 Alloue

Renseignements et réservations : 05 45 31 81 22

www.mmcasares.fr

Ouverture pendant l’été : du 22 juillet au 22 août
Entrée libre sur le parc les lundis, mardis, jeudis et vendredis
de 15h à 19h

 

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