À l'affiche, Agenda, Entretiens // « Queue de Poissonne » d’après La Petite Sirène de Hans Christian Andersen, Mise en scène lka Schönbein au Grand Parquet

« Queue de Poissonne » d’après La Petite Sirène de Hans Christian Andersen, Mise en scène lka Schönbein au Grand Parquet

Oct 09, 2015 | Commentaires fermés sur « Queue de Poissonne » d’après La Petite Sirène de Hans Christian Andersen, Mise en scène lka Schönbein au Grand Parquet

Propos recueillis par Ulysse Di Grégorio

 

Photo Benoit Fortyre / Marinette Delanné

Photo Benoit Fortyre / Marinette Delanné

Queue de Poissonne, spectacle pour tout public à partir de 7 ans nous transporte dans l’univers du conte d’une Petite Sirène prête à perdre son identité pour se faire aimer d’un prince idéalisé. Laurie Cannac, grâce à son art de la marionnette est à la fois petite sirène, sorcière, mais également prince. L’entremêlement du corps et de la marionnette nous ouvre un univers des plus poétiques dans une ambiance bleutée aux reflets d’or. La musique et le chant s’associent à ces métamorphoses de personnages et créent ainsi un rythme soutenu propice à l’éveil des enfants. Les adultes seront quant à eux agréablement surpris de découvrir les faces cachées de cette petite sirène que chacun d’entre nous a déjà pu éprouver. Une réflexion profonde sur les difficultés à conserver son identité, relevée par une mise en scène animée et onirique.

 

Entretien avec Laurie Cannac (marionnettiste) et Serge Lucas (régisseur)
6 octobre 2015

– Comment la rencontre avec Ilka Schönbein a-t-elle eu lieu ? Vous êtes toutes deux marionnettistes et avez créé les marionnettes ensemble, comment vous êtes-vous partagé le travail ?
Laurie Cannac : C’est une rencontre qui a eu lieu totalement par hasard, Ilka est venue voir un spectacle que je jouais alors qu’elle ne devait pas voir celui-ci, et il se trouve qu’elle m’a proposé directement à la fin de celui-ci de travailler ensemble. Sur Queue de poissonne d’abord, et ensuite sur Faim de Loup où j’étais déjà engagée dans la création. Il se trouve qu’il y a un « cousinage » entre nous puisque nous sommes toutes les deux nomades, même si nous ne l’avons su qu’après. Je pense qu’il y a aussi une sensibilité commune : je travaille aussi sur des marionnettes de corps, même si c’est Ilka qui a vraiment ouvert cette voie là. J’étais toujours dans un théâtre assez physique et je cherchais à travailler sur un conte à ce moment-là. Nous sommes également toutes les deux passionnées par le conte, nous avons donc des valeurs communes.
Comment concrètement avons-nous travaillé ensemble ? Ilka fait aussi ses propres spectacles où elle n’a besoin de personne, mais quand elle travaille avec d’autres personnes, elle travaille sur des propositions.

 

– Peut-on parler de coréalisation ?
LC : Oui, mais à la fin c’est quand même elle qui signe la mise en scène. En revanche ce n’est pas comme au théâtre quand un metteur en scène embauche des comédiens. C’est moi qui ai proposé le projet, puis j’ai proposé les marionnettes. Nous retravaillons éventuellement les marionnettes, mais la sirène par exemple nous n’y avons pas du tout retouché. Certaines marionnettes dans le spectacle sont typiquement à moi, comme le prince qui me porte ; et d’autres sont typiquement à elle. C’est un dialogue continu, que ce soit sur la construction des marionnettes ou dans la dramaturgie et le jeu. Ce sont les marionnettes qui construisent le spectacle : nous les construisons, nous les essayons, nous voyons ce qu’elles racontent. Nous avons une idée de départ mais cela peut changer beaucoup. Ilka dit à chaque nouvelle marionnnette : « On va voir ce qu’elle a à nous dire ». Sur Faim de Loup, il s’agissait plus de ma conception car j’étais déjà avancée dans le travail quand elle est arrivée, mais là nous avons avancé ensemble. C’est vraiment un dialogue, qui peut être conflictuel parfois.

 

– Vous prêtez votre corps à deux personnages en même temps, comment travaillez-vous cette dissociation corporelle et « mentale » ?
LC : Du point de vue purement technique, il s’agit de mettre son regard et sa concentration à un autre endroit du corps, ce qui peut rendre un peu « dingue » au début. Mais cela nous est facilité par notre interprétation jungienne des contes : tous les personnages font partie du personnage principal, c’est un conflit intérieur. Dans Queue de poissonne la sorcière est un autre visage de la sirène, et le prince représente plutôt un rêve qu’un « vrai » personnage. Ce sont toujours des faces cachées du personnage principal, celles que nous avons tous en nous. Pour les marionnettistes, la dissociation est la base du métier. Chaque marionnette est comme un instrument dont nous apprenons à jouer. Chaque création représente deux ans de travail : c’est beaucoup d’exploration car nous fabriquons beaucoup de marionnettes. Il y en a beaucoup qui sont jetées puisque nous écrivons avec elles.

 

Serge Lucas : On jette environ quatre fois le nombre de marionnettes que vous voyez sur le plateau si ça ne fonctionne pas. Il arrive qu’une marionnette fonctionne très bien une fois et puis ne fonctionne pas pour d’autres choses.
LC : Oui, par conséquent on essaie de travailler vite. A mes débuts, je trouvais que le marionnettiste était coincé par sa construction : si vous passez deux mois à fabriquer une marionnette, et bien après, comment la jeter ? Maintenant nous avons des moyens de construction très rapides qui permettent d’avoir la même dynamique de travail que les gens de théâtre. Un comédien qui doit jouer un rôle, on lui dit : « Tu rentres avec un roi très fort et très méprisant », et puis finalement on trouve que ça ne fonctionne pas, donc on lui dit : « Ressors et puis tu rentres avec un roi très faible ». Mais nous, en marionnette, ce n’est pas comme ça : une marionnette ne peut pas tout jouer, elle ne joue qu’elle-même, elle est forcément limitée. Avec la manipulation on développe bien sûr beaucoup de choses, mais elle reste un personnage.

 

Et vous apportez une chose nouvelle à cette marionnette, elle est beaucoup plus vivante et possède un espace de jeu beaucoup plus grand.
SL : oui c’est un renouveau esthétique par rapport au castelet.
LC : Le fait que la marionnette soit à ma taille instaure une vraie relation avec elle. Il y a une confrontation entre le comédien et la marionnette qui existe parce que nous sommes semblables, alors que si c’est une petite marionnette il ne peut pas y avoir de rapport « d’égal à égal ». C’est pour cela que dans ce spectacle le jeu est très stylisé.

 

La Petite Sirène d’Andersen connaît une fin plutôt difficile puisqu’elle est rejetée par le prince pour qui elle a rennoncé à son identité de sirène ; il s’agit ici d’un choix particulier pour un spectacle pour enfant. Que souhaitez- vous transmettre aux enfants à travers ce texte ?
LC : Je me suis beaucoup interrogée avant de faire le spectacle parce que j’avais peur que les enfants soient déroutés, même si les enfants sont beaucoup plus ouverts que les parents. J’ai eu la chance de faire un stage à ce moment-là avec des instituteurs, et j’en ai discuté avec eux. Ils m’ont répondu que les enfants aiment autant les histoires qui finissent bien que les histoires tristes. Le théâtre est fait pour expérimenter des émotions de toutes sortes. On idéalise l’enfance comme un âge doré alors que les relations entre les enfants dans la cour d’école sont loin d’être simples. Qui n’a pas été rejeté par un groupe ou par son amoureux ? Et tout cela, les enfants le vivent avec une intensité incroyable.

 

– Lorsque vous travaillez ainsi pour un spectacle à la destination du jeune public, à quelles exigences spécifiques êtes-vous confrontées ?
LC : L’exigence principale est celle du spectacle « tout public à partir de… » (pour ce spectacle, 7 ans). Il faut que nous intéressions les adultes et les enfants, ce qui engendre un travail sur les différents niveaux de lecture. Pour les enfants il faut que ça change assez rapidement, c’est une question de dynamique du spectacle, de variété d’émotions.
SL : Les enfants ont accès à toutes les émotions.
LC : Ceci dit pour mon prochain spectacle, je fais une version « rue » et une version « salle » pour les enfants. C’est une version « rue » éclairée par le feu car sur ce sujet-là (les sorcières), il y a des choses que j’ai envie de développer et qui ne concernent pas toutes les enfants. Mais en salle j’ai besoin de jouer pour les enfants car ils donnent une telle énergie ! Quand il n’y a que des adultes dans les festivals de marionnettes, c’est quasiment religieux, alors qu’avec les enfants c’est une circulation entre la scène et la salle.

 

– Vous travaillez avec la musicienne et chanteuse Alexandra Lupidi pour cette pièce. Dans quelle mesure la musique influence-t-elle votre travail ?
LC : La marionnette et la musique ont un peu la même âme car elles parlent directement au corps avant de parler à l’intellect. C’était pendant le travail que c’était le plus intéressant, dans les moments où nous étions « coincées » et où Alexandra proposait une musique qui nous sortait d’une ornière. C’est comme un partenaire de jeu, et c’est une chance de pouvoir créer avec la musicienne. Elle donne avec sa voix une intensité émotionnelle à certaines scènes, notamment celle de la fin avec le lamento (quand la sirène se traîne et devient écume).

 

– Ce spectacle existe depuis deux ans maintenant, avez-vous été influencée dans la progression de votre travail par les réactions des enfants ? Comment réagissent-ils à cet univers poétique duquel ils sont de plus en plus éloignés ?
LC : Le spectacle ne vivait pas à la première, nous n’avions pas fait beaucoup de présentations, et ce sont vraiment les enfants et le public qui l’ont construit. Il a mis deux mois de tournée à trouver son rythme, et effectivement les enfants libèrent quelque chose.
SL : Le théâtre, ce n’est pas une église, on a le droit de s’exprimer. Ilka dit parle du « concert de serpents » quand il y a des professeurs qui disent « chut » aux enfants pendant tout le spectacle.

 

– Avez-vous envie de continuer à travailler dans l’univers des contes ou bien seriez-vous attirez par d’autres formes de littérature pour nourrir vos spectacles ?
LC : Oui j’ai vraiment envie de continuer sur les contes car cela m’intéresse de travailler sur différents niveaux de lecture et sur des spectacles où chaque spectateur peut vivre sa propre histoire. Je m’intéresse de plus en plus aux « sous-couches » du conte que Jung analyse comme des rêves de l’humanité. Cela renvoie à des conflits intérieurs. Au départ, je pensais que la marionnette n’allait pas avec le conte mais maintenant si car je me suis apercçue qu’elle représente l’immatérialité, voire l’âme. Il y a donc ce côté du conte qui n’est jamais complètement ancré dans une réalité ni dans l’intellectuel tout comme la marionnette. Souvent ce sont des histoires simples mais qui ont une forte densité, et paradoxalement nous avons été obligés d’enlever des éléments à cette petite sirène car elle était trop compliquée ; c’est le seul petit regret que j’ai, mais scéniquement nous n’avions pas le choix.

 

Queue de poissonne
D’après La Petite Sirène de Hans Christian Andersen
Mise en scène lka Schönbein
Manipulation & jeu Laurie Cannac
Marionnettes Ilka Schönbein, Laurie Cannac
Lumière Sébastien Choriol
Son François Olivier
Musique Alexandra Lupidi
Assistant à la mise en scène Britta Arste
avec la participation de Romuald Collinet & Jo Smith

Du 6 au 25 octobre 2015

Le Grand Parquet
Jardins d’Éole, 35 rue D’Aubervilliers – 75018 Paris
Métro Stalingrad (lignes 2,5,7)
Réservations 01 42 74 22 77
http://www.forumsirius.fr/orion/theavil.phtml?spec=2047&inst=21011&lg=fr

Be Sociable, Share!

comment closed