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Quelqu’un se sert de mes objets familiers, conception de Grand Magasin, à La ménagerie de verre, festival d’Automne à Paris

Nov 16, 2023 | Commentaires fermés sur Quelqu’un se sert de mes objets familiers, conception de Grand Magasin, à La ménagerie de verre, festival d’Automne à Paris

 

© Véronique Ellena

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Grand Magasin fait de la philosophie un acte poétique dada. Comme toujours avec ces deux-là, François Hiffler et Pascale Murtin, accompagnés de leurs comparses habituels, rien n’est jamais simple et pourtant tout semble allez de soi. Comment commencer, titre de leur dernier opus mais ici perplexité de votre chroniqueur devant encore une fois un objet inclassable. Tentons de. Sont convoqués ici Nicolas Malebranche, Elizabeth Anscombes, Etienne de Condillac, Donna Haraway, Hannah Arendt, Henri Bergson, Georges Bekerley, Descartes, Merleau-Ponty, Virginia Woolf, Heidegger, Gertrude Stein, madame du Châtelet… De leurs ouvrages Grand Magazin a extrait le doute qui les rongeait : si je ferme les yeux, le monde continue-t-il d’exister ? Ce que je vois est-il la réalité ? Quel interaction ai-je avec l’autre ? Qui y a t il derrière les murs de ma chambre ? Et dernière angoisse que résume Merleau-Ponty, « quelqu’un se sert de mes objets familiers ». Autrement dit je ne serai pas seul à faire usage d’un même monde, même le soleil est en partage.

Vastes questions existentielles à laquelle Grand Magasin se garde avec raison de répondre. Et sans rien comprendre – qu’ils prétendent – à ce qu’ils énoncent, puisant matière dans ce corpus par inclination et surtout au hasard, font oeuvre non de pédagogie mais de poésie. Affinité de vocabulaire et de sonorité ayant présidé au choix des textes et en toute liberté carambolé, marabout-bout de ficelle etc….

Armé d’une truelle, d’un morceau de bois, d’un vaporisateur ou encore d’une clef à molette – objets familiers- pour illustrer les concepts, manipulés (les objets) comme autant de tour de passe-passe illustrant avec pertinence la permanence et son paradoxe, la théorie devient travaux pratiques, chaque orateur, d’abord en solo, se présente sous le nom du philosophe (année de naissance et de mort en sus, c’est plus prudent), édicte sa proposition avant de disparaître (ding ! fait la sonnette), fait place au suivant. Et ainsi de suite, les philosophes se suivent et les arguments philosophiques se répondent, discursifs, et semble labourer obstinément un même sillon. L’assertion de Merleau-Ponty se vérifie, les mots, comme les objets quotidiens, l’expérience itou, expriment une pensée commune qui traverse le temps et que nous partageons. Nous y voilà, sans doute est ce de ça dont il est question ici, de la transmission et de la manipulation d’un même objet familier. L’intuition inquiète de Merleau-Ponty, Grand Magasin la vérifie.

Continuons.

Au solo se succède un duo, la pensée se dédouble. Au monologue répond le dialogue. Les spectateurs attentifs, il le faut, sont répartis en 5 salles et en toute fin rassemblés en une seule pour entendre cette fois-ci les six orateurs réunis. Là encore c’est faire montre d’une grande subtilité qui vérifie et répond à la question de savoir si le monde existe bien au-delà de ma chambre. Et bien oui, puisque ce que nous entendions de notre place, les bruits extérieurs (ding ! fait l’echo de la sonnette du voisin), se matérialise sous nos yeux qui entre dans cette pièce. Ainsi donc cette dramaturgie, cette mise en scène participe de la démonstration. De la philosophie appliquée, voilà qui est très malin.

Mais comme toujours avec Grand Magasin, il y a un moment où quelque-chose sort en toute incongruité et avec naturel du chemin tracé. La philosophie en chantant, il fallait y penser. Il y avait bien des indices annonciateurs, quelques mots comme échappés que nos orateurs chantaient comme on pousse la note. Et voilà donc notre sextuor chantant en canon nos philosophes avec force bruitage (toc !, entre-autre, matérialisation de la matière et de notre existence). Si on avait pu penser qu’un traité de philosophie pouvait être matière à livret… Et personnellement, si mon professeur de philo avait procédé ainsi, meilleure aurait été ma note au bac.

Car c’est bien de ça qu’il s’agit, au-delà de la transmission, du relais des savoirs, du partage, et combien la philosophie est un champ qui suscite autant d’inquiétude que de fascination, ce que nous ressentons, que cette langue en apparence absconse, qu’on la comprenne ou pas, est un terrain poétique insoupçonné, un espace de jeu infini, un objet qui peut être à raison familier et que l’on transmet. C’est dans leur hésitation et l’effort qu’ils font à articuler la langue et  cette pensée dans sa complexité, il ne s’en cache pas, en s’efforçant de la comprendre pour que nous la comprenions, lui offrant une part de mystère aussi, que Grand Magasin, non sans un humour pince-sans-rire et un goût prononcé pour l’absurde et la logique (ce qui parfois revient au même), réussit, l’air de rien, et ce n’est pas le moindre des paradoxe, à nous faire sinon entendre du moins entrer et de façon concrète, dans cette expérience où l’autre, oui, se sert bien de mes objets familiers.

 

© Grand Magasin

 

 

Quelqu’un se sert de mes objets familiers

Conception de Grand Magasin

Avec Ondine Cloez, François Hiffler, Valentin Lewandowski, Pascale Murtin, Diederik Peeters, Sophie Sénécaud

 

Du 15 au 18 novembre 2023 à 20h

 

La ménagerie de verre

12 rue Lechevin

75011 Paris

Réservations : 01 43 38 33 44

www.menageriedeverre.com

www.festival-automne.com

 

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